Pour sa première visite à Toulouse, le 1er décembre dernier, le hr-Sinfonieorchester Frankfurt, invité de la saison des Grands Interprètes, était dirigé par le chef français Alain Altinoglu. Avec la participation du jeune pianiste canadien Jan Lisiecki, le programme musical a révélé les caractéristiques spécifiques d’un orchestre brillant et virtuose qui sont également celles du soliste.
Fondé en 1929, le hr-Sinfonieorchester Frankfurt dépend de la Hessischer Rundfunk, la radio du Land de Hesse, d’où le sigle hr de son nom. La succession de grands chefs d’orchestre à sa tête, d’Eliahu Inbal à Paavo Järvi a permis de forger à cette phalange symphonique une solide personnalité et un large répertoire.
Également directeur musical du Théâtre Royal de la Monnaie depuis janvier 2016 et du festival international de Colmar à partir de 2023, Alain Altinoglu, occupe la fonction de Directeur artistique du hr-Sinfonieorchester Frankfurt depuis la saison 2021-2022. S’il s’est déjà produit à Toulouse à la tête de l’Orchestre national du Capitole, il dirige donc cette fois le l’orchestre allemand à l’occasion de sa première venue à Toulouse.
Dès les premières mesures de l’Ouverture pour orchestre opus 91 intitulée Dans la nature, du grand compositeur tchèque Antonín Dvořák, les caractéristiques de cette formation symphonique éclatent au grand jour. Sonorités brillantes, précision du jeu de chaque pupitre, intensité expressive, se manifestent tout au long de cette courte partition composée en 1891, et qui constitue la première partie d’un triptyque intitulé « Nature, vie et amour ». On retrouve ici les thèmes issus de la musique populaire tchèque chère à Dvořák. La grande clarté sonore de la structure orchestrale s’accompagne d’une certaine âpreté des accents, d’une vigueur qui accompagnent la rutilance des timbres bien différenciés.
L’arrivée du pianiste Jan Lisiecki comme soliste du célèbre Concerto pour piano et orchestre en la mineur d’Edvard Grieg prolonge, en quelques sortes, dans son jeu les spécificités musicales de l’orchestre. Fréquemment invité par les plus prestigieux orchestres de la planète, ce musicien élégant âgé de 27 ans, déploie un jeu énergique et intense, un toucher cristallin et transparent, parfois percussif et d’une implacable précision. Le premier volet de cette œuvre de jeunesse du compositeur norvégien évoque un dialogue combatif, à armes égales, entre le soliste et l’orchestre. Soulignons l’impact impressionnant de la cadence finale de cet Allegro molto moderato, aussi dense que virtuose. Après le calme lyrisme du très bref Adagio, la fougue du final s’empare du soliste autant que du tutti orchestral. Techniquement parfait, le jeu transparent du pianiste favorise le détaché, parfois presque agressif, mais toujours musical, du phrasé. La virtuosité, la dynamique des nuances atteignent des sommets impressionnants. La coda finale conclut cette exécution sur une explosion jubilatoire. Elle est suivie d’une autre explosion, celle du public enthousiaste et séduit. Au point de susciter un bis du soliste. Un bis de caractère bien différent de ce qui précède. Jan Lisiecki distille, comme une confidence intime, le Nocturne n° 20 opus posthume de Frédéric Chopin. Un moment de rêve hors du temps…
La seconde partie de la soirée est consacrée à l’orchestration par Maurice Ravel des célèbres Tableaux d’une exposition, initialement composés pour le piano par Modeste Moussorgski. C’est à la suite de sa visite d’une rétrospective consacrée au peintre Viktor Hartmann, son ami qui venait de décéder, que Moussorgski a souhaité lui rendre ainsi un hommage. Dans cette rutilante version pour orchestre, les dix tableaux qui se succèdent donnent à une phalange symphonique de qualité de briller de tous ses feux. C’est évidemment le cas de l’Orchestre de Francfort. Alain Altinoglu fait appel à toutes les ressources virtuoses de ses musiciens. Il confère à chaque épisode ses caractéristiques propres, adaptant ses tempi avec soin. A l’agitation fébrile de Tuileries s’oppose ainsi la méditation de Catacombae. Il faut surtout féliciter le trompette solo qui ouvre l’œuvre avec le thème de la Promenade, repris plusieurs fois comme fil rouge de l’œuvre. Le tableau « terrifiant » de La cabane sur des pattes de poules constitue l’un des grands moments de cette exécution. Sa transition avec le final triomphant de La Grands Porte de Kiev illumine, comme il se doit l’ensemble du paysage sonore. Cette conclusion éblouissante provoque une ovation enthousiaste de la part du public qui rappelle à maintes reprises le chef devant ses musiciens. Un bis d’un tout autre caractère est accordé et présenté par Alain Altinoglu lui-même. Afin de rester dans le domaine de la musique française, il dirige la douce Sicilienne extraite de la Suite Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré. Le souffle apaisant de la flûte conclut cette soirée riche en énergie musicale.
Magnifique concert d’Alain Altinoglu avec son hr-Sinfonieorchester Frankfurt hier soir à #Toulouse! Et quel concerto de #Grieg avec l’exceptionnel @janlisiecki!
Sicilienne #Fauré
Un concert @GdsInterpretes pic.twitter.com/hqu4XtNnHf— Thierry d’Argoubet (@T_d_Argoubet) December 2, 2023
Propos recueillis par Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse