Six plus une rajoutée, soit sept représentations de l’opéra de jeunesse de Georges Bizet, donné pour ouverture de saison de l’Opéra national du Capitole de Toulouse. Et, au vu du triomphe que reçoit la Première de cette nouvelle production, on est triste pour ceux qui ne pourront en profiter, les suivantes affichant complet !!
On pourra se plonger dans mon article d’annonce paru à la fin de l’été et dans le synopsis résumant cette œuvre si singulière, datant de 1863, au livret un rien invraisemblable, écrite par un compositeur de vingt-cinq ans.
Ce joyau de Bizet à la partition envoûtante, hypnotisante même car semé de mélodies qui vous saisissent, définitivement ! revient sur la scène du Théâtre après vingt-quatre ans d’absence. On remarque d’entrée, l’absence d’extravagance en ce sens que la nouvelle production situe l’action dans un village humble de pêcheurs de l’île de Ceylan du temps du compositeur. Rien de contemporain, à mille lieues du Regietheater : ouf ! Les personnages évoluent pieds nus dans des costumes aux tons et tissus particulièrement travaillés, près d’un univers marin enchanteur et captivant, où la mer reflète le destin inexorable des trois amants et s’impose comme une force de la nature déchaînée par une passion destructrice.
La mise en scène de Thomas Lebrun est à la fois simple et lisible, tout en visant au dépaysement, dans un orientalisme coloré et naïf. Ce n’est qu’une succession de magnifiques images avec des lumières de Patrick Méeüs suggestives et flatteuses. Louons la scénographie, les décors d’Antoine Fontaine, loin de l’exotisme de pacotille, les costumes de David Belugou, à l’habitude, jubilatoires. Ceux des danseurs et danseuses, et des choristes compris. Élément déterminant de cette mise en scène, les chorégraphies de Thomas Lebrun et de ses collaborateurs Raphaël Cottin et Angelo Smimmo, un brin décalées. Inutile de rechercher quelque filiation avec une quelconque danse orientale. Une ligne artistique nouvelle volontairement assumée. Ils ont même osé les pointes ! Enthousiasmant, vous dis-je. C’est beau : point.
La distribution vocale aligne des pépites. La diction de chacun est irréprochable. Impressionnant d’expressivité, les choristes, hommes et femmes, quatrième personnage, sont à la fête, d’un bout à l’autre, mené par leur chef Gabriel Bourgoin. Le Chœur sait faire ressentir les nuances et marquer aussi sa force.
Avec Mathias Vidal, c’est un Nadir dont le grave et le médium sont tout d’abord très consistants, avec une ligne de chant très soignée dans l’aigu, comme au cours de son air élégiaque d’une difficulté extrême : « Je crois entendre encore ». Un moment magnifique d’émotion et de retenue. Jeunesse, fraîcheur, expression, va-t-on se plaindre ? L’instrument s’allège par moments, mais les passages en voix mixte ou de tête sont, formule lapidaire, impec !
On est aussi très heureux d’entendre le baryton Alexandre Duhamel en Zurga, un magnifique emploi, d’importance pour lui. Il nous convainc d’un bout à l’autre, complètement, avec dès le départ un chant habité et émouvant. Un grain vocal richement timbré et de style adéquat, avec une diction de qualité. Très beau monologue initial au début de l’acte III. Les deux voix de ténor et baryton sont en tous les cas superbement appariées, ceci dès leur premier duo : « Au fond du temple saint ».
La soprano Anne-Catherine Gillet dessine une Leïla à la voix dont les qualités épousent parfaitement les exigences du rôle – vocalises et trilles bien sûr au rendez-vous – belle projection, de même qu’un jeu scénique avec une expressivité sans faille. Le timbre charmant et coloré, d’une agréable rondeur et d’une agilité souveraine, jusque dans son grand air en fin de premier acte « Ô Dieu Brahma ! ». L’interprète montre beaucoup d’engagement dans ses duos, aussi bien avec Nadir (« Leïla ! Dieu puissant », acte II) qu’avec Zurga (« Je frémis, je chancelle », acte III), donnant une couleur davantage lyrique à ces passages.
Quant à Nourabad, il est le prêtre de la situation ! Son autorité vocale, son physique, son costume insensé, quelle trouvaille ! le baryton-basse Jean-Ferdinand Setti constitue un quatrième protagoniste de luxe.
Le chef Victorien Vanoosten aurait-il tout compris de cette musique du jeune musicien qui, à une question de Camille Saint-Saëns, répondait : « Je ne suis pas fait pour la symphonie ; il me faut le théâtre, je ne puis rien sans lui. » Avec les musiciens de l’Orchestre national du Capitole, ils magnifient la partition de Bizet et prouve toutes les qualités d’orchestration du jeune compositeur. Homogénéité et séduction, lyrisme et douceur, la direction variée souligne finement ses accents orientalistes, avec des instrumentistes délicats lorsqu’il le faut, comme l’accompagnement à la flûte et harpe du duo « Au fond du temple saint ». Atout essentiel, la fosse à aucun moment ne couvre le plateau. Dans ce théâtre au rapport scène-salle si rapproché, le chef privilégie l’expression de l’intime et accompagne les chanteurs sans jamais leur voler la vedette, ni être protagoniste, cherchant à accompagner au mieux chacun, même dans les forte ou les moments les plus dramatiques. C’est un contrôle permanent du volume. La direction du duo : « Au fond des golfes clairs » est un modèle d’intensité et de sens poétique.
Au bilan, une brillante ouverture de saison sur une ligne artistique aux choix assumés et défendus et accueillis avec enthousiasme par un public de plus en plus dense et heureux.