CRITIQUE, Opéra, ORANGE, le 8 Juillet 2023, Bizet, Carmen, Grinda/Cafiero, Lemieux, Borras, D’Arcangelo.
La Carmen d’Orange par Grinda semble aseptisée
Une seule représentation, un seul opéra mais de nombreux concerts : Les Chorégies d’Orange 2023 assurent un retour à l’équilibre financier et le Théâtre antique avec ses 10 000 places est rempli à ras bord ce soir pour la Carmen de Bizet. Pari tenu le public est venu en masse à l’appel de l’opéra des opéras ! Les applaudissements ont été généreux mais pas bien longs au souvenir d’autres soirées en ces lieux. Comment expliquer ce demi succès ?
La conception de Jean-Louis Grinda est connue depuis Monaco et Toulouse. Cette proposition qui scénarise sur plusieurs plans la mise à mort de Carmen, le personnage chantant et une danseuse de flamenco, dans un dispositif scénique minimaliste a plutôt convaincu sur les scènes à l’Italienne. Moi-même à Toulouse j’ai été conquis par ce choix radical. Il se trouve que ce n’est pas ce que le public d’Orange attendait. Et je fais partie de ceux qui sont restés sur leur faim. Le dispositif scénique fait de deux quarts de conques parait sur la large scène du Théâtre Antique bien trop discret car trop central tout en paraissant bien lourd pour ceux qui les mobilisent. Les costumes sont très beaux mais un peu « collet monté ». Les lumières sont subtiles mais trop sombres pour le public éloigné aux acte deux et trois. Les ombres portées sur les éléments de décors sont par contre toujours très réussies. La Flamenca, Irene Olvera est sensationnelle, pourtant comme petite sœur de Carmen (Irene a 15 ans) elle parait une silhouette trop fragile sur l’immense plateau d’Orange. Et surtout ce seul élément authentiquement sévillan est bien trop discret même si chacune de ses danses est un moment de pure grâce. Car en effet c’est là que le bât blesse à Orange en plein air dans l’air chaud d’un été au ciel étoilé, l’Espagne est attendue plus franchement, il y a comme un rendez-vous manqué.
Les chœurs ont une belle présence et les tableaux sont souvent très beaux. Une Carmen sans Espagne scéniquement peut encore se colorer grâce à l ’orchestre et un chef qui le souhaite. La cheffe Clelia Caferio a une gestuelle dynamique certes mais n’obtient pas de couleurs contrastées de l’orchestre de Lyon. Le nuances également sont limitées à celles naturelle de la subtile orchestration de Bizet. Sans caractère particulier l’orchestre participe de cette musicalité générique, polie et sans surprise bien éloignée de la vision d’une partition de Carmen originale voire révolutionnaire. Et la cheffe ne propose rien comme idées personnelles. Il ne reste plus de la latinité possible du côté des solistes. La non plus rien de passionnel, de torride ou de désespéré.
La Carmen de Marie-Nicole Lemieux est engagée, scéniquement elle bouge avec expressivité mais reste dans un « quant-à-soi » de bonne éducation. La voix est somptueuse de timbre, la conduite de la ligne vocale est subtile, la précision des vocalises et des trilles est aussi exemplaire que rare dans ce rôle. Vocalement elle est une grande Carmen. Le pathos de la scène des cartes n’est pas convainquant car excessif par rapport à une absence de soumission au destin dans les scènes suivantes. Marie-Nicole Lemieux a la voix et les qualités d’une belle Carmen qui semblent un peu sous employées ce soir. Jean-François Borras est un Don José intéressant. La voix me semble fatiguée probablement par la série de Mefistofele à Toulouse qui s’est achevée seulement il y quelques jours. Je l’avais trouvé plus épanoui et plus rayonnant dans le rôle de Faust alors. La voix est juvénile et le personnage un peu enfant irascible et violent. L’usage de la voix mixte et de la voix de tête pour la fin de l’air la fleur sont du plus bel effet pour un personnage plus subtil et fragile que d’habitude.
L’Escamillo d’Ildebrando D’Archangelo est un personnage trop sérieux et manque de brillant. En tous cas vocalement il est plus basse que baryton et chante impeccablement. La Micaëla d’Alexandra Marcellier est un personnage volontaire. Sa voix corsée et large et un timbre ingrat n’en font pas une Micaëla vocalement assez séduisante. Frasquita, Charlotte Despaux et Mercedes, Eleonore Pancrazi ne sont pas très remarquables sauf la voix de Charolotte Despaux qui dans les ensembles est particulièrement présente. Tous les petits rôles sont bien campés et bien chantants. Les chœurs sont très précis et ont une belle présence. Tout particulièrement la maitrise qui offre des moments plein d’émotions. La Flamenca de 15 ans Irene Olvera en double de Carmen mérite une mention toute particulière tant son talent est sidérant. A elle seule elle peut évoquer l’Espagne malheureusement si absente ce soir. Bravo et merci à cette jeune artiste à l’avenir radieux.
Cette année ne sera pas placée sous le signe de l’exceptionnel mais de la prudence, un seul opéra en une seule représentation. J’espère que l’année 2024 pourra être théâtralement plus audacieuse.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Chorégies d’Orange. Théâtre Antique, le 8 juillet 2023. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Rudy Sabounghi ; Costumes : François Raybaud et Rudy Sabounghi ; Lumières : François Castaingt ; Chorégraphies : Eugène Andrin ; Vidèos : Gabriel Grinda ; Distribution : Carmen, Marie-Nicole Lemieux ; Don José, Jean-François Borras ; Escamillo, Ildebrando D’Archangelo ; Micaela, Alexandra Marcellier ; Zuniga, Luc Bertin-Hugault ; Morales, Pierre Doyen ; Lilas Patia, Frank T’Hezan ; Frasquita, Charlotte Despaux ; Mercedes, Eleonore Pancrazi ; Le Dancaïre, Lionel Lhote ; Le Remendado, Jean Miannay ; La Flamenca Irene Olvera ; Chœurs de L’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur, Stefano Visconti) ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon (chef de chœur, Aurora Marchand) ; Maitrise de l’Opéra Grand Avignon (direction, Goyon Pogemberg) ; Orchestre national de Lyon ; Direction : Clelia Cafiero.