Pour le dernier spectacle de la saison du Ballet National du Capitole in situ, la Danse rendait hommage aux Arts Plastiques. Sculpture, estampe et peinture auraient dues être au programme. L’actualité du Ballet ne l’a pas rendu possible. En effet, si No More Play de Jiři Kylian fait référence aux œuvres de Giacometti, et Loin Tain de Michel Kelemenis se veut un hommage à Pierre Soulage, Entrelacs de Kader Belarbi se référait aux calligraphies délicates du peintre chinois du XVIIème siècle, Shitao. Mais le chorégraphe n’étant plus directeur de la Compagnie, pour les raisons que l’on sait, il ne pouvait remonter cette œuvre, entrée au répertoire en 2013. D’autant qu’aucun des danseurs qui l’avaient interprété, ni les maîtres de ballet, ne sont plus présents. Ce sont donc deux pièces courtes, Instars d’Erico Montes et Libra de George Williamson, deux pas de deux, qui nous ont été présentés.
No More Play, créé en 1988 par le Nederlands Dans Theater a été inspiré à Jiři Kylian par une œuvre de Giacometti, un petit jeu de société en bois plutôt informe et très simple. Cette pièce pour cinq danseurs sur les « Cinq mouvements pour quatuor à cordes » d’Anton Webern, est l’illustration parfaite de comment peuvent fusionner musique et mouvements. Sur la scène où, dans la pénombre, se dessinent deux rectangles éclairés qui, au gré de la musique et de la chorégraphie varieront de forme à l’infini tout comme alterneront duos, trios, quatuors ou quintettes. Surgiront alors d’incroyables figures acrobatiques, ponctués de point d’orgue, d’arrêt sur image pourrait-on dire, où le spectateur retiendra son souffle tant les équilibres improbables que réalisent les danseurs semblent fragiles et au bord de la rupture. A cet exercice on ne peut qu’être enthousiasmé par ce que nous donne à voir Tiphaine Prévost, Solène Monnereau, Philippe Solano et Jérémy Leydier, un quatuor impressionnant de présence, de complémentarité et de complicité. Voilà quatre danseurs mis en exergue qui sont parmi les piliers solides de la Compagnie. Il serait pourtant totalement injuste d’oublier ici Baptiste Claudon tout aussi présent. Un ballet tout en angles, parfaitement sculpté, belle illustration de la formule de Balanchine : « Voyez la Musique, écoutez la Danse ».
Deux pas de deux se succédaient ensuite, créant une rupture de couleur dans cet univers qui se voulait en noir et blanc avec des justaucorps colorés. Instars, d’Erico Montes, actuel maître de Ballet de la Compagnie, créé au Royal ballet de Londres en 2018 est une pièce de facture très classique parfaitement dansée par Alexandra Surodeeva, fine, élégante et racée et Alexandre De Oliveira Ferreira, rayonnant du plaisir de danser. Une œuvre qui, si elle ne révolutionne pas la danse, fut un intermède fort plaisant. Libra était le second pas de deux, créé en urgence pour ce programme. Son originalité : un pas de deux pour deux danseuses. La chorégraphie, bien réglée, se veut joyeuse, pas de portés bien sûr, mais des mouvements rapides, s’imbriquant les uns dans les autres. Et cependant, la magie n’opère pas. Pourtant, comme à son habitude, Natalia de Froberville est parfaite de technique et d’équilibre. Nancy Osbaldeston n’est pas en reste. Mais l’émotion n’est pas là.
Loin Tain, de Michel Kelemenis était une création également pour ce programme. Sur le concerto pour violoncelle et orchestre d’Henri Dutilleux, « Tout un monde lointain », le chorégraphe construit une œuvre foisonnante, qui met en scène tout le parcours de deux êtres pour retrouver l’Autre. Parcours introduit de manière burlesque par un Amaury Barreras Lapinet irrésistible. Autour d’un duo immobile, la fébrilité, le bouillonnement amoureux est représenté par l’ensemble des danseurs qui par leur masse, tour à tour, séparent, isolent, ou font se rejoindre les deux protagonistes. Kayo Nakazato et Simon Catonnet fendent cette foule qui s’élance avec une énergie remarquable. Les diagonales se croisent, les groupes se font et se défont, les arrêts brusques semblent suspendre le temps. Enfin, la scénographie de Bruno de Lavenère est un vibrant hommage à Pierre Soulage. Sur un fond noir ondulant et brillant, un trait lumineux horizontal délimite un espace où, comme une illusion d’optique, se reflète le double de la soliste. Les éclairages de Rémi Colas renforce encore ce parti-pris, de même que le blanc immaculé des costumes.
Le répertoire du Ballet National du Capitole s’étoffe encore de deux entrées dans un répertoire extrêmement riche et varié, qui fait la part belle autant à la danse classique qu’à la plus contemporaine.
Annie Rodriguez
une chronique de ClassicToulouse