Une saison pour en finir avec la pandémie ? Oui et… non. Oui, car en effet quatre spectacles font partie des annulations dues au Covid (Pelléas et Mélisande, Eugène Onéguine, Le Viol de Lucrèce et les Pêcheurs de perles). A noter que les distributions initialement prévues sont celles affichées la saison prochaine. Non, car Christophe Ghristi ne s’est pas contenté de trouver trois autres opéras pour compléter sa programmation. Rebondissant sur les œuvres citées plus haut, il a construit sa saison en un magnifique tableau faisant la part belle aux voyages et à la passion en un feu d’artifice de prises de rôles majeures et d’excitantes découvertes. N’ayons pas peur des mots, cette saison 23/24 rappelle fortement un certain âge d’or signé Nicolas Joel. Ce n’est pas une injure, vous en conviendrez !
Classictoulouse : Depuis la fin du confinement, le Capitole affiche des salles combles, ce qui n’est pas le cas loin s’en faut des autres théâtres français ou étrangers. Quel est votre algorithme ?
Christophe Ghristi : Je suis extrêmement heureux et je dois avouer aussi soulagé que le public soit ainsi de retour au Capitole, peut-être même plus nombreux qu’avant. L’algorithme est avant tout le travail d’une équipe, les ateliers, l’administration, etc. Me concernant plus particulièrement, je pense tout d’abord, en terme de programmation, au public. Ce qui ne veut pas dire que je lui fais je ne sais quelles concessions et que je limite les ambitions de ce théâtre. Je suis persuadé que l’on peut travailler pour le public dans la plus grande exigence et la meilleure des qualités. De plus, à chaque représentation, il se passe ici quelque chose sur scène. Les équipes présentes déploient une telle énergie que le public en est parfaitement conscient. C’est un cadeau formidable et il le ressent comme tel. Le spectateur est friand de cette étincelle propre au spectacle vivant. L’algorithme en question consiste également à réunir des artistes qui ont la passion du théâtre. Je ne veux personne qui vienne travailler ici pour son ego ou autre chose. J’essaie de réunir des artistes qui travaillent ensemble pour la réussite du spectacle.
Votre « famille » lyrique s’enrichit avec l’arrivée de nouveaux chefs d’orchestre. Mais à l’inverse des chanteurs de la génération actuelle ou de la nouvelle génération, qui prennent souvent leurs rôles sur notre scène, les chefs que vous invitez sont des habitués du répertoire que vous leur proposez.
En faisant prendre des rôles ici à des chanteurs, je suis conscient des risques. Par contre, il est capital pour la tenue d’un spectacle que quelqu’un tienne la barre, si vous me permettez l’expression. Il me semble que le chef d’orchestre, jeune ou pas d’ailleurs, doit être cette personne. Le savoir et l’expérience sont essentiels et d’ailleurs cela rassure grandement les chanteurs. Sinon le risque est trop grand. Mais attention, savoir n’est pas chez les artistes que j’invite synonyme de routine. Loin s’en faut. Toutes et tous retravaillent chaque fois ces partitions mais au prisme particulièrement précieux de leur expérience. Le chef doit être un organisateur face à un orchestre, un chœur, des solistes. Il peut avoir un merveilleux sens musical mais tout ignorer des qualités de management que suppose une représentation d’opéra. Le spectacle lyrique est un art de groupe. Chacun est une pièce indispensable d’un ensemble. Je tiens à ce que tout le monde en soit conscient et c’est d’ailleurs l’un des avantages de cette famille. En effet, petit à petit, les artistes se connaissent de mieux en mieux tant professionnellement que personnellement d’ailleurs. Ils n’ont plus besoin de beaucoup de temps pour prendre contact. Chacun chante avec les autres. Un simple exemple, entre mille, les dernières reprises de La bohème. A l’instar de l’ouvrage en lui-même c’était une troupe d’amis qui chantait et non quelques individualités.
Comment avez-vous construit la future saison du Capitole ? Et depuis quand y travaillez-vous ?
Cela fait, comme d’habitude, plusieurs années que je travaille en amont pour cette saison 23/24. Elle a subi les turbulences liées au Covid. Mais bon, dans notre métier nous sommes coutumiers des aléas. Si l’on parle de l’opéra, cette saison présente des ouvrages d’une très grande hauteur esthétique et spirituelle. Pelléas et Mélisande, Boris Godounov, La Femme sans ombre ou encore Idoménée lui donnent incontestablement une dimension particulière. Je sais, il n’y a pas de standards, de tubes, mais tous sont légendaires. Comme autre exemple, Les Pêcheurs de perles qui n’a jamais connu, à tort d’ailleurs, le même succès que Carmen. Côté danse, le répertoire est très large. De plus pur romantisme avec La Sylphide jusqu’aux chorégraphes actuels en passant par ce géant du 20ème siècle qu’est John Neumeier pour sa première venue avec un grand ballet à Toulouse. Les danseurs ont un véritable besoin de se confronter à ces immenses créateurs.
La saison des récitals est particulièrement excitante et, quoi qu’il en soit, vous avez fait revenir le public à ces soirées qui n’étaient pas spécialement courues ?
Faire venir des grands chanteurs c’est quand même mon job et je m’y emploie à 100% de mon temps. Pour répondre plus précisément à votre question, sachez que les artistes que je contacte savent où ils vont chanter et ils ne le font pas pour l’argent. Je me dois d’ajouter que la qualité du public toulousain est aussi mondialement connue. Hélas, il faut constater que les maisons d’opéra qui inscrivent dans leur programme une saison de récital ne sont plus très nombreuses. Or, pour certains artistes, le récital, de mélodies plus particulièrement, est essentiel. Je pense ici à Stéphane Degout ou Mathias Goerne. Entre autres bien sûr. Dans la série des Midis du Capitole, ces récitals sont très demandés par de jeunes chanteurs qui sont en représentation à Toulouse à ce moment-là. Parfois c’est leur première dans le genre. Comme vous dites très justement, le public ici aussi, et pourtant les programmes sont aussi exigeants pour le spectateur, est revenu en masse. C’est le moment de souligner que ces récitals sont accessibles financièrement entre 5€ et 20€ ! Premièrement cela ne constitue plus aujourd’hui un frein, deuxièmement je ne vois pas pourquoi un spectacle qui réunit un chanteur et un pianiste coûterait le même prix qu’un opéra ou un ballet. Mais pour qu’un récital tienne ainsi son public, il faut que l’artiste ait quelque chose à raconter. Sinon l’exercice peut être profondément ennuyeux.
Les problèmes budgétaires actuels sont-ils un frein à l’élaboration des saisons à venir ?
La pensée financière et la pensée artistique ne sont pas séparées, du moins dans ma conception du métier. Ceci étant, nous vivons à Toulouse ce que j’appelle un alignement des planètes extraordinaire. Je parle du soutien sans faille de la Métropole. L’Opéra national du Capitole est particulièrement bien défendu par Francis Grass et tout autant extrêmement bien géré par Claire Roserot de Melin. Tout le monde est animé par la même volonté de réussite. Nous travaillons tous de manière très pragmatique pour surmonter les écueils qui se présentent, parce que nous en rencontrons fatalement. Faut-il préciser que la Métropole se réjouit grandement des succès du Capitole, d’autant que ce sont des succès populaires grâce en partie à notre politique tarifaire.
Concernant le Ballet…
Nous sommes en cours de recrutement d’un nouveau directeur/nouvelle directrice de la Compagnie. Sa feuille de route comprend un projet ambitieux pour le Ballet. Rappelons qu’il est composé de 35 danseurs et que peu de théâtres hexagonaux ont l’équivalent. Le programme devra croiser classique et contemporain car le classique a plusieurs vertus. Non seulement il déploie les bases fondamentales mais également il a l’assentiment du plus grand nombre de spectateurs. Sa mission portera aussi sur le management et la santé des danseurs, la mise en place de tournées régionales, nationales et internationales. J’espère une nomination avant l’été. Le Ballet est bien sûr très impatient. Pour l’heure il est entre les mains de deux maîtres de ballet qui font un travail magnifique : Erico Montes et Gabor Kapin.
Un dernier mot ?
L’ADN du Capitole est d’être à la fois ambitieux et populaire. Cette saison, le succès formidable de Roussalka, de Dafné ou du Roméo et Juliette de Prokofiev, celui des concerts et des récitals montrent que le public est toujours mobilisé quand la qualité est au rendez-vous, même s’il ne connait pas les œuvres. Je forme donc le vœu qu’il en soit longtemps ainsi et que nous continuions à être en même temps exigeants et populaires.
Propos recueillis par Robert Pénavayre