Commande de plusieurs grands théâtres lyriques européens, dont le Théâtre du Capitole, le premier grand opéra du compositeur britannique George Benjamin (né en 1960), créé cet été à Aix en Provence, vient de connaître les feux de la rampe toulousaine et un nouveau triomphe. Largement mérité !
Bien qu’il faille se méfier des évidences, avec Written on skin, nous sommes devant un authentique chef-d’œuvre. Une pareille assertion réclame pour le moins quelques justifications. Nous allons les trouver dans l’ensemble des composantes de ce spectacle : la musique, le livret, la production et l’interprétation.
Et tout d’abord souligner combien il ne faut pas avoir « peur » de cet opéra contemporain. Ecrite pour grand orchestre, la partition, ici dirigée par Franck Ollu, recèle des trésors de couleurs, de timbres, une partition dans laquelle on croise la viole de gambe comme l’harmonica de verre, une partition qui joue le rôle de l’enluminure dans les livres anciens. Au service du texte, elle ne l’accompagne pas ni ne le commente mais l’entoure dans des dynamiques de lumières incroyables. L’écriture vocale fait fi des écarts monstrueux – et inchantables – dont certains compositeurs se sont fait la spécialité pour « faire » moderne. Ici existe une vraie ligne de chant, parfois une vocalise vient rappeler certaine filiation, les ambitus requis sont de l’ordre du normal et l’orchestration est toujours attentive aux chanteurs. Le livret, dû à la plume du grand dramaturge britannique Martin Crimp, est un modèle d’écriture, une savante alchimie entre deux mondes, celui des Anges et celui des Humains. C’est en fait une histoire qui se rejoue devant nous. Celui d’un couple du Moyen Âge, le Protecteur et sa femme Agnès, un couple dans lequel, grâce à un jeune et bel enlumineur, le feu qui couvait dans l’âme et la chair d’Agnès va conduire les protagonistes jusqu’à la catastrophe finale. Il est difficile de ne pas avoir alors en perspective le Théorème de Pasolini. Agnès sera contrainte de manger le cœur de son amant et, pour échapper au couteau vengeur du Protecteur, se suicidera en se jetant dans le vide. La production, d’une rare intelligence, est signée Katie Mitchell pour la mise en scène, Vicki Mortimer pour la scénographie et les costumes et Jon Clark pour les lumières. La totalité du volume scénique est divisé en quatre parties égales. Deux concernent le territoire des Anges. On devine des bureaux style La Défense et une penderie, une sorte de vestiaire. Ces deux espaces communiquent avec… le Moyen Âge et la demeure du Protecteur proche d’une forêt. De somptueux éclairages découpent des scènes et des atmosphères d’une beauté picturale éblouissante. Chaque personnage joue son propre rôle bien sûr mais également le commente. L’abolition de l’espace-temps est par moment vertigineux et envoûtant.
Un plateau époustouflant
La magie opère d’autant plus vite que la distribution réunie est superlative. Dans le rôle de L’Enlumineur, appelé dans l’opéra Le Garçon, le contre-ténor britannique Tim Mead, seul élément nouveau par rapport à la distribution de la création, remplace Bejun Mehta. C’est une découverte majeure tant son timbre sombre et charnu, la netteté de son émission, sa virtuosité et sa justesse de ton en font un interprète rêvé. Il incarne aussi le Premier Ange, celui qui va descendre sur Terre (pour être Le Garçon) et être sacrifié sur l’autel des pêchés humains. Au travers d’une parabole christique, la composition de ces deux rôles est l’un des sommets de cette œuvre. A ses côtés, Christopher Purves est un Protecteur à la fois terriblement faible et incroyablement cristallisé dans une éducation et des certitudes qui vont se fissurer sous nos yeux. Il prête à ce personnage son baryton puissant, d’une parfaite rondeur, aux saisissantes couleurs crépusculaires. Barbara Hannigan (Agnès) affronte, c’est le terme, un emploi d’une exceptionnelle ampleur autant vocale que dramatique. Maîtrisant à la perfection un soprano à la projection homogène et péremptoire jusqu’à de meurtriers contre ut, s’engageant scéniquement au-delà des limites du concevable, elle incarne à la perfection cette femme en quête d’une identité dont on lui refuse l’affirmation. Une composition magistrale ! Saluons également les deux rôles dits secondaires, ici somptueusement tenus par Victoria Simmonds (Deuxième Ange/Marie) et Allan Clayton (Troisième Ange/Jean).
A l’heure où nous mettons en ligne, il reste deux représentations. Précipitez-vous !
Robert Pénavayre
Une Chronique de Classic Toulouse
Théâtre du Capitole : du 23 au 30 novembre – Réservation