Le 3 mars dernier, l’Orchestre national du Capitole retrouvait à sa tête un artiste d’exception, à la fois pianiste prestigieux et grand chef d’orchestre, Christian Zacharias. Fréquemment invité à Toulouse depuis son premier récital au festival Piano aux Jacobins de 1983, ce grand musicien a tissé avec la formation symphonique toulousaine des liens que ce concert du 3 mars a encore renforcés.
Le programme de cette nouvelle rencontre réunit Arnold Schönberg, Ludwig van Beethoven et Franz Schubert, trois compositeurs qui ont fait les beaux jours de la capitale musicale de l’Europe, la belle ville de Vienne. Ludwig van Beethoven et Franz Schubert, ont indéniablement occupé une place important au sein de ce que les exégètes ont baptisé « Première Ecole de Viennes » à laquelle Joseph Haydn et Wolfgang Amadeus Mozart ont également appartenu. Quant à Arnold Schönberg, il révolutionna l’écriture musicale en fondant celle qui est devenue pour l’histoire la « Seconde Ecole de Vienne » qu’Alban Berg et Anton Webern ont rejointe. Clin d’œil suprême, les trois œuvres de ce programme portent le même numéro 2 !
C’est donc avec une œuvre d’Arnold Schönberg que Christian Zacharias ouvre ce concert du 3 mars. Sa direction précise et expressive confère à la Symphonie de Chambre n° 2 du fondateur de la révolution atonale une transparence et une intensité expressive particulières. Si les premières esquisses de cette partition datent de 1906, le compositeur l’a maintes fois corrigée pour la compléter en 1939. Elle témoigne d’une certaine évolution stylistique à la fin des années 1930. L’auteur ayant successivement exploré la musique atonale et le dodécaphonisme, il retourne ainsi à une écriture plus tonale. On y retrouve quelques accents proches de son œuvre de jeunesse la plus célèbre, la fameuse « Nuit transfigurée » qui date de 1899. Les deux volets de la partition trouvent ce soir-là des caractéristiques expressives fortes. L’Adagio initial distille une certaine inquiétude mêlée à une nostalgie du temps passé. Le Con fuoco final, plein d’angoisse, redonne au rythme une prédominance, avec l’évocation d’un épisode à la fois grotesque et glaçant.
Pour l’œuvre suivante, le piano émerge du sous-sol de la Halle aux Grains et rejoint l’orchestre. Christian Zacharias prend alors la double responsabilité de soliste et de chef d’orchestre pour l’exécution du Concerto pour piano et orchestre n° 2 de Beethoven. Rappelons que ce deuxième des cinq concertos pour piano et orchestre a été composé bien avant le Concerto n° 1. Il a été remanié une première fois en 1798, puis recorrigé plusieurs fois avant sa publication chez Hoffmeister à Leipzig en 1801. L’ombre de Mozart plane sur cette partition que le chef-soliste de la soirée, en grand habitué de cet exercice, domine avec une ferveur et une invention de chaque instant. Tourné vers ses musiciens, Christian Zacharias dirige et joue avec un naturel et une évidence admirables. L’équilibre sonore autant qu’expressif se saurait évidemment surprendre.
La variété des touchers et des phrasés choisis exalte la vitalité de cette partition. Le tempo vif et nerveux de l’Allegro con brio initial recèle néanmoins des trésors de tendresse qui émergent comme par bouffées d’un toucher délicat autant que dynamique. Notons l’incroyable vigueur de la cadence que l’on pourrait qualifier de « révolutionnaire » ! L’Adagio résonne comme une touchante prière alors que le Rondo final prend les allures d’un jeu dans lequel la complicité entre le soliste et l’orchestre fait des merveilles. La musique semble sourire.
L’ovation insistante que suscite cette prestation obtient du soliste un bis d’une beauté et d’une pureté musicale confondantes. Il s’agit de l’une des 555 sonates du grand Domenico Scarlatti, auquel Christian Zacharias voue une admiration sans limite.
La seconde partie de cette soirée est consacrée à la Symphonie n° 2 en sol majeur composée par Franz Schubert à l’âge de 17 ans, entre décembre 1814 et mars 1815. Il s’agit de la symphonie la plus joyeuse du compositeur du fait de l’exubérance irrésistible de ses mouvements extrêmes.
Le premier volet s’ouvre néanmoins sur un épisode Largo d’une solennité remarquable. La joie ne tarde pas à éclater avec l’Allegro vivace. Cet enchaînement est admirablement réalisé sous la direction de Christian Zacharias qui semble s’adresser individuellement à chaque musicien. L’Andante, sous forme de thème et variations, esquisse un sourire tout en évoquant une marche lente. Une brève et calme coda, animée par les bois, conclut ce mouvement. Le Menuetto qui suit possède la particularité d’être le seul mouvement en mode mineur de cette symphonie en majeur. Tendu et martelé il est interrompu par un Trio souriant et léger. Le final Presto vivace est dirigé et joué comme un fête. Sa lumière éclabousse le paysage. La coda, irrésistible de joie, déclenche un accueil enthousiaste et mérité de tout le public.
Certes on ne découvre pas le grand talent de Christian Zacharias, mais on assiste à sa confirmation, aussi bien comme subtil pianiste que comme valeureux chef d’orchestre !