Le 10 janvier dernier, à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, l’association Les Arts Renaissants confiait le troisième concert de sa saison à un duo a priori improbable, et a posteriori éblouissant ! Le jeune et grand guitariste qu’on ne présente plus à Toulouse, Thibaut Garcia, était associé à l’accordéoniste auvergnat Félicien Brut pour un voyage musical imaginatif et stimulant.
Intitulé “Vol de nuit”, le programme de cette soirée explore une palette musicale qui conduit l’auditeur/spectateur de la France à l’Amérique du Sud, en passant par l’Espagne, autant de terres évoquant les pionniers de l’Aéropostale. En outre, ce voyage géographique autant que musical visite les contrées les plus riches, les plus fécondes pour les deux instruments.
Félicien Brut, ce natif de le terre auvergnate, est devenu en quelques années le représentant de l’accordéon dans la nouvelle génération de musiciens classiques français. Comme le démontre sa prestation tout au long de ce concert, il obtient de son instrument des sonorités, des nuances, une musicalité que l’on n’imaginait pas. Quant à son complice Thibaut Garcia on n’est plus étonné de la qualité, de la pureté, de la virtuosité de son jeu. Voici un interprète qui, tout simplement, fait de la musique avec sa guitare !
C’est un peu à l’histoire de leur rencontre que cette soirée est consacrée. Saluons tout d’abord la parfaite organisation acoustique de cette association grâce à une belle sonorisation de la guitare dont le volume s’équilibre parfaitement avec celui de l’accordéon. Et admirons surtout la belle fusion de ces deux talents confrontés ce soir-là à une succession de pièces astucieusement choisies et agencées. Tout au long de la soirée, Félicien Brut, avec un humour réjouissant, et Thibaut Garcia, d’apparence plus sage (en apparence seulement), ne se privent pas de commenter, de présenter, de gloser sur les œuvres qu’ils abordent.
Confiée au plus espagnol des compositeurs italiens, Luigi Boccherini, l’ouverture du concert s’effectue dans la joie. Je devrais écrire, dans le bonheur de jouer qui se lit sur les deux visages des interprètes. L’Introduction et Fandango ainsi abordée mêle relief, couleurs et rythmes des jeux croisés. L’accordéon remplace ici le quatuor à cordes de la partition originale arrangée par Simon Cochard. Le public accueille cette introduction avec un enthousiasme non retenu.
La pièce suivante témoigne de l’audace des deux compères qui n’hésitent pas à s’attaquer à un chef-d’œuvre bien connu des habitués des concerts classiques, Alborada del gracioso de Maurice Ravel. Le bel arrangement de Thibault Perrine permet aux deux musiciens de réaliser d’étonnants échanges de thèmes, de sonorités et encore une fois de couleurs. Cette belle réalisation est suivie de l’œuvre d’une compositrice argentine, Eladia Blázquez, intitulée El Corazón al sur et pleine d’une nostalgie touchante.
Astor Piazzolla ne pouvait pas ne pas figurer dans cette évocation. N’oublions pas que l’enseignement à Paris de la grande Nadia Boulanger a peut-être permis au compositeur argentin de trouver sa voie. Avec Zita extrait de sa Suite Troileana, composée en hommage à son compatriote, le bandonéoniste Aníbal Troilo, les interprètes célèbrent une icône de l’accordéon, du bandonéon et du tango.
Chaque musicien prend ensuite sa pause en laissant son compère seul en scène. Thibaut Garcia joue ainsi deux pièces pleines de chaleureuse tendresse du compositeur paraguayen Agustín Barrios Mangoré, alors que Félicien Brut consacre son intervention solitaire au très français Richard Galliano (auquel Toulouse voue une admiration particulière), avec deux pièces en hommage à Bach.
Le duo se reforme sur un medley de valses, qualifié “de Paris à Lima”, très proche du musette auquel Félicien Brut a consacré ses débuts de carrière. Ainsi se succèdent de très populaires mélodies signées de Maurice Jaubert, Jean Corti, Jo Privat, Georges van Parys, comme A Paris dans chaque faubourg, La Ritale, La Complainte de la butte, pour s’achever sur La Foule, chanson popularisée par Edith Piaf, mais dont l’auteur de la musique n’est autre que le Péruvien Ángel Cabral.
Les dernières pièces au programme sont signées du Brésilien Radamés Gnattali. Il s’agit de deux extraits de sa suite Retratos (Portraits), originalement écrite pour deux guitares et arrangée par Simon Cochard. Ces deux hommages aux musiciens brésiliens Ernesto Nazareth et Chiquinha Gonzaga signent la fin du voyage transatlantique imaginé par deux complices dont la rencontre n’a pas manqué d’être narrée par le très loquace accordéoniste…
Les multiples rappels enthousiastes du public ont obtenu le retour des musiciens pour deux bis : Chiquilin de Bachin, d’Astor Piazzolla et une nouvelle exécution de la valse de Jean Corti.
Cette belle rencontre restera à coup sûr comme un grand moment de la présente saison des Arts Renaissants.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse