Ne jouons pas petits bras. Il y a quelque temps que la Halle n’avait pas été parcourue, traversée même par un tel frisson au cours d’un concert. Et on est bien content de vous avoir prévenu ici même et conseillé de ne pas le rater !! Ce fut ce vendredi 21 octobre. On vous donne la liste des coupables soit, l’orchestre, c’est l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, le violoniste, Chad Hoopes, et le chef, Tarmo Peltokoski.
Sur un programme déjà présenté dans un article d’annonce à savoir, The Lark Ascending de Ralph Vaughan Williams suivi du Concerto pour violon et orchestre de Korngold puis la Symphonie n°5 de Chostakovitch.
Encore sous le choc, les lecteurs me pardonneront le côté brouillon de ces quelques lignes. Autant dire tout de suite que, s’il y a performance indéniable du début à la fin, c’est bien parce que l’OnCT, notre orchestre, a atteint un niveau qui lui permet d’aborder un répertoire nécessitant les meilleurs pupitres. Et quand tout ce petit monde rencontre un chef qui les pousse dans leur dernier retranchement, et même davantage, cela induit le résultat de cette soirée. Osons-le, le tandem Tarmo-OnCT est entré dans la cour des grands chefs défenseurs de Chosta. Mais, avez-vous entendu ces pupitres de cordes ? ces contrebasses malmenées rugissantes comme jamais ? ces violoncelles boursouflés de rondeur musicale, son timbalier déchaîné, tout comme ses acolytes, son cor solo impérial, pareil pour trompette et trombone, tous ces bois ou vents, harpes et piano ? Dans la Cinquième, nous avons tout entendu, tout. Tel est le travail d’un chef, volontairement démoniaque dans Chostakovitch, et tellement subtil dans les deux œuvres précédentes.
Dans les deux œuvres pour violon et orchestre, avec Chad Hoopes, c’est le charme à l’état pur, la séduction à chaque mesure. Du chant, du chant dans un violon merveilleusement expressif mais sans surcharge, ni mauvais goût, et dans un souci de constante harmonie avec l’orchestre. On monte vers les cimes dans le Vaughan Williams avec liberté, poésie, élégance, qualités que l’on retrouve dans le Korngold dans lequel le soliste s’amuse des difficultés, s’en réjouit même, en un mot domine chaque trait presqu’avec impudeur. Et un orchestre qui, à aucun moment, ne couvre le soliste. Un violon qui est musique à l’état pur. Une entente, une complicité entre ces deux jeunes musiciens réjouissante. Un régal. Un cumulus émotionnel a envahi la Halle. Chad Hoopes a triomphé. Pas de bis. C’eut été indécent. Mais le coup de grâce approche.
Si la Cinquième de Chosta est la plus souvent interprétée, c’est bien par ce qu’elle est la plus accessible car la plus simple surtout harmoniquement, à l’évidence. Pas de programme explicite d’accord, mais il est clair que c’est une musique qui a quelque chose à dire et le chef a décidé qu’elle ne le dit pas, mais elle le crie. Pour avoir suivi une répétition générale et une deuxième avant le concert de ce soir, je me permettrais d’affirmer que ce tout jeune chef domine totalement son sujet, et d’ailleurs tout le programme du concert. Point. Cette musique peut donc être d’une force dramatique qui saisit l’auditoire dès les premières mesures surtout si c’est le parti pris de celui qui la dirige, 22 ans ou pas.
Voilà donc une symphonie qui peut s’envisager sous deux aspects. Et Tarmo Peltokoski a fait sien non pas de celui d’un décor de théâtre et de poésie créé tout au long, mais plutôt le choix d’un esprit de terreur qui prévaut et d’entrée. Le xylophone est comme un glas. On est proprement admiratif sur la manière qu’a le chef de scander les phrases dès le Moderato et de creuser en profondeur l’orchestre avec une précision inouïe pour l’auditeur. Admiratif encore du travail pratiqué sur les cordes et la charge émotionnelle qu’elles peuvent véhiculer, tranchantes chacune comme un fouet, âpres et obstinées dans le IV où elle répètent leur note obsessionnelle jusqu’au supplice, ou auparavant dans le III où elles tiennent de longues phrases élégiaques. Dans le I, l’ensemble des cordes nous impressionnent vraiment. Vous excuserez le désordre.
L’allegretto du second mouvement inaugure les scherzos si typiques du compositeur avec leur côté ironique et grinçant : une véritable signature dans la musique de Chosta. C’est “le rire jaune“ dans toute sa splendeur.
Le Largo se termine dans une sorte de désespérance, bien loin des vœux émis par les auteurs présumés de la commande. Intervention superlative de la flûte puis du hautbois.
Quant au finale, Chosta réussit le tour de force de livrer une partition pompeuse faussement grandiose pour satisfaire le Comité de Jdanov alors qu’elle ne fait que traduire les tourments d’un homme face à son peuple, « un homme écrivant à l’encre de son sang. » Le contrat ayant permis sa création stipulait : une musique optimiste et clairement structurée. Pour la deuxième exigence, pourquoi pas, mais pour la première, c’est raté. Ça s’appelle leurrer la censure en lui faisant croire qu’il va au-devant de ses attentes. Par exemple, la marche implacable des timbales, au début du IV avec un timbalier démoniaque !, introduit une fanfare martiale bien trompeuse. C’est là la parfaite illustration du malentendu que l’on peut entretenir sur l’esprit d’une œuvre.
Ce soir, dans la Cinquième, Tarmo Peltokoski a fait de la musique et délivré le message choisi. Chosta a sûrement esquissé un sourire vengeur. Mission accomplie. Sur le plateau, les musiciens étaient en phase, mais aussi avec les compositeurs. Quelle secousse. Événementiel, vous dis-je. Point final.
Orchestre national du Capitole