C’est l’histoire d’un empereur, d’un archange et d’un philosophe : César, Michel et Aristide.
Le concert d’hier soir, c’est l’histoire de ces trois magiciens réunis : voilà 40 ans que Michel Bouvard fréquente César Franck, et 26 ans qu’il est un intime du grand orgue de Saint-Sernin construit par Aristide Cavaillé-Coll. L’équation parfaite. Et donc, ce mardi 11 octobre, dans le cadre du Festival Toulouse les Orgues, Michel Bouvard donnait sa lecture des « Trois chorals pour grand orgue, avec pédale obligée » de César Franck.
Les « Trois chorals », composés durant l’été 1890, comptent parmi les dernières œuvres composées par César Franck. Il meurt à peine plus d’un mois après la composition du troisième, fauché en plein période créatrice. Michel Bouvard, dans sa longue et belle introduction au concert, nous livrait cette anecdote : un an avant, le compositeur correspondant avec l’un de ses élèves disait : « un jour j’écrirai des chorals, comme Jean-Sébastien Bach, mais sur un autre plan ». De fait, le grand compositeur romantique français est un spécialiste de la forme dite cyclique, mais aussi d’une harmonie chromatique en glissements, en digressions, familière de la dissonance jusqu’à la 9ème, mais ne perdant jamais le fil tonal ni le souffle lyrique. Bien loin du souvenir que l’on a des chorals de Bach !
L’œuvre a été composée sur un Cavaillé-Coll, celui de Sainte-Clotilde à Paris, dont Franck était titulaire. L’orgue de Saint-Sernin est du même facteur ; il a été inauguré un an avant la mort du compositeur ; cela aurait pu être lui qui tienne les claviers ! Toujours est-il que la grande lisibilité de la forme, à quoi s’ajoute la parfaite acoustique de St Sernin et l’accord remarquable préparé par le facteur castrais Franz Lefevre, permettaient un éclairage exceptionnel sur la polyphonie.
Ce mardi, c’était la foule des grands soirs. Longue queue sur le parvis, basilique pleine à craquer, bruissements et attente : l’un des plus beaux concerts du festival. Quand le maître apparaît aux marches du chœur, c’est un silence parfait pour écouter son introduction. Silence encore quand il remonte la nef et escalade jusqu’à la tribune. Silence enfin tout au long des chorals, enchaînés.
Le premier choral, dédié à Eugène Gigout, un autre grand organiste romantique français, nous plonge d’emblée dans une atmosphère instable : chromatismes, changements de claviers, de registrations, transformation de l’armature jusque toutes les deux mesures… la tonalité est pour le moins mouvante ! Ce qui en fait peut-être le moins aisé à suivre.
Le deuxième choral est dédié à Auguste Durand, le fameux éditeur de musique, qui était lui aussi organiste. Le thème principal qui traverse la pièce, à trois temps, s’apparente à une passacaille, fermement prononcée à la pédale… mais qui glisse très vite dans les aigus du clavier puis se transforme. Les silences sont fréquents, importants, somptueux. Un court passage sur le jeu de voix humaine, animé par un tremblant doux, sur un fond de principal de 32 pieds (un jeu qui fait 10 mètres de haut !) provoque encore des frissons dans ma mémoire.
Le troisième choral est dédié à Augusta Holmès, compositrice française contemporaine de César Franck. C’est le plus connu. Le plus virtuose aussi, avec beaucoup de passages en écriture pianistique, avec des traits traîtres très à découvert. Mais comme pour les deux premiers, Michel Bouvard est impérieux, sûr, maître… Qui a dit que la perfection était ennuyeuse ? Il n’était pas là hier soir !
En guise de rappel, ou plutôt en quatrième partie, l’organiste proposait le triptyque « prélude, fugue et variations », composé par un jeune César Franck, tout en poésie et douceur.
Vous avez manqué ce récital ? L’introduction de Michel Bouvard est perdue à jamais, mais pas son interprétation de l’œuvre : dans un bel album de deux disques enregistrés justement à Saint-Sernin, vous pouvez retrouver toute la verve du maître. Comme il me le confirmait à la fin du concert : la registration de l’orgue était la même hier soir que dans le disque ! Ce qui n’enlève rien au mérite des tireurs de jeu, ces artistes-factotums placés de part et d’autre du maître, qui ont passé leur soirée à actionner des jeux à la micro-seconde près…
Allez, le festival n’est pas fini, il reste encore une foule de concerts, dont le plus émouvant sera peut-être l’adieu au grand orgue du Taur samedi matin, avant sa restauration complète. Un concert où l’on pourra prier à la mémoire celui qui l’a tenu tant d’années, le très regretté Jean-Claude Guidarini.