C’était quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine, un concert qui résonne maintenant pour moi, comme celui d’Abou Diarra, dans la même Salle Nougaro, comme un arc-en-ciel de lumières avant l’orage mondial que nous vivons.
C’est un autre de mes coups de cœur: Anda-Lutz, En avant la lumière, d’abord superbe disque de Guillaume Lopez, avec Thierry Roques, Nicolas Gardel et Saïd El Maloumi, une balade musicale entre Occitanie, Andalousie et Maghreb, dans la grand tradition des troubadours, mais avec une musique de fusion tout à fait novatrice, où s’allient tout naturellement musiques andalouse, arabe, occitane, et jazz.
Où il y a cette belle profession de foi en ces temps de retour de la haine sans fard de l’étranger crachée par les populistes de tous poils, Coûte que coûte, sur une musique (Canción y dansa n°6) du compositeur catalan Federico Mompou (1893-1897): Regardons un peu plus loin / Que d’habitude / Ne restons pas dans nos coins / Quelle lassitude. Inventons le parchemin / Coûte que coûte / Qui se lira demain / Ouvrons la route.
La rencontre des cultures, la découverte de l’Autre, les passerelles musicales et le voyage poétique peuplent les rêves du fondateur de ce quartet atypique, Guillaume Lopez, chanteur, flûtiste, « cornemusiste » (terme peu courant, comme lui). Avec l’accordéoniste, Thierry Roques, rencontré au Conservatoire de Villefranche de Rouergue il y a bientôt deux décennies, ils ont créé en 2006 Sòmi de Granadas, Le Songe de Grenade, beau disque aussi, qui reliait musicalement la ville de Grenade-sur-Garonne à Granada l’Andalouse.
Anda-Lutz en est la suite logique, et repousse les limites du songe, de Toulouse à Agadir, en passant par Séville, voici le pont imaginé par ce quartet entre les pays d’Oc, de l’Espagne et du Maghreb. Les notes et les mots se mêlent, la trompette du jazzman Nicolas Gardel et les percussions de Saïd El Maloumi, insufflent une énergie nouvelle aux influences méditerranéennes du duo initial.
« Anda » en espagnol pour créer la dynamique, le mouvement, « Lutz » en langue d’oc, signifie « en avant la lumière ». Anda-Lutz nous incite à découvrir l’El Dorado des pays de lumières, l’Al-Andalus. Compositeurs tous les 4, ces musiciens, tels de modernes aventuriers, se sont rencontrés au Maroc en novembre 2018, ils y ont mêlé leurs talents, leurs univers, et créé ce voyage musical et poétique entre hier et demain, rêve et réalité, auquel ils invitent le public.
C’était bien le cas à la Salle Nougaro, au chaleureux cadre intimiste, où Guillaume Lopez est en pays d’amitié, un peu « comme à la maison ». Avec le fidèle Thierry Roques, sa casquette toujours vissée sur la tête, dont l’accordéon me fait parfois penser à celui de Marc Perrone, Ferdinand Doumerc du quatuor Pulcinella au sax ténor et Sébastien Gisbert aux percussions, remplaçant au pied levé Gardel et Maloumi, le beau son d’Alfonso Bravo et les éclairages subtils de Pedro, il nous a offert toutes les facettes de son talent sur les ailes de ses flutes et de sa cornemuse (Boha Malice), à laquelle il a donné un prénom féminin, sans misogynie aucune, mais dans une gentille allusion à la chèvre dont elle a gardé la peau.
Tantôt en occitan, tantôt en castillan, et même en français, il chante avec aisance et chaleur, « con fuoco », avec feu, comme on dit en Italie.
De la Lozère (Le Rêve de Launac, Sueno de Launac) en passant par le Béarn (Jamei Jo Non Veirèi, -magnifiquement chanté aussi par les filles de Cocanha-, comme une prière), et Séville (Sevillana del adios), d’Aure (superbe instrumental enluminé de chœurs du gascon Christian Vieussens, avec un beau solo de flute basse), à l’Olivier du grand père (El olivo del abuelo) en passant par le Champ des Dunes, sans oublier une version de Ô Toulouse en occitan (adaptation d’Eric Fraj), c’est un pont de mar blava, comme le chantait magnifiquement le grand Lluis Llach (sur un poème de Miquel Marti i Pol), un pont de mer bleue que Guillaume Lopez édifie entre nos cultures différentes.
Je te laisse un pont d’espoir
et le vieux phare de notre demain
pour que tu serves le nord
dans ta navigation.
Un pont bleu
qui jumelle des peaux et des vies différentes.
Un pont de mer bleu
pour nous sentir côte à côte.
Comme une réponse inspirée aux violences qui ont embrasé les rives de la Méditerranée ces dernières décennies, comme une réponse engagée aux nouveaux murs que certains, à l’hubris (1) démesurée, voudraient ériger de nouveau dans notre vieille Europe.
Le public de la Salle Nougaro ne s’y est pas trompé qui a manifesté fortement et longuement son plaisir avec des applaudissements nourris.
Plus que jamais, avec les épées de Damoclès que des autocrates en mal de pouvoir suspendent au-dessus de nos têtes, il faut cueillir les fleurs de la vie sans se soucier du lendemain, Carpe diem, comme le conseillait déjà le poète latin Horace au 1er siècle avant Jésus-Christ.
La Culture en général, la Poésie et la Musique en particulier font partie de ces fleurs. Merci aux artistes qui les font éclore.
Alors rendez-vous dans le Gers où Anda-Lutzsera en Résidence Départementale coordonnée par l’ADDA 32:
Samedi 26 mars – L’Isle Jourdain (32) MJC – La Maisoun
1 avril 2022 – Berdoues (32) – Salle des Fêtes
09 avril 2022 – Fleurance (32) – Théâtre le Méridional
15 avril 2022 – Eauze (32) – Théâtre Concert jeune public
16 avril 2022 – Eauze (32) – Théâtre
22 avril 2022 – Auch (32) – Le Cri’Art
Pour en savoir plus : www.guillaume-lopez.fr
20, chemin de Garric, 31200 Toulouse Tél. 05 61 93 79 40
1- hubris: complexe de supériorité, orgueil sans limite.