Il a été aviateur et résistant, mais aussi romancier, diplomate, scénariste et réalisateur. Son œuvre « La promesse de l’Aube » a plus récemment été adaptée au cinéma par le réalisateur Éric Barbier en 2017, donnant ainsi la réplique à Charlotte Gainsbourg et Pierre Niney. Il a signé certains de ses romans sous le pseudonyme d’Émile Ajar, mais son vrai nom est Romain Gary. Pour rendre hommage au travail de cet écrivain, Denis Rey met en scène « L’angoisse du roi Salomon » au théâtre du Pavé jusqu’au 19 mars 2022. Rencontre avec le comédien.
Qu’est-ce que qui vous anime dans le travail de Romain Gary ?
J’adore Romain Gary, car c’est un auteur qui fait passer le lecteur du rire aux larmes d’une phrase à l’autre. Il met en scène des désespérés, des gens inadaptés au monde et qui sont perdus face à la réalité qui est la nôtre. Ils en témoignent, mais ils ne s’en plaignent pas et ils essaient de résister et de rester optimistes, de tâcher de faire plier le destin. Ils ont une forme de naïveté et d’enfance. La puissance du réel est quelques fois terrible et parfois ils font face à des situations burlesques quelques fois tragiques. J’adore cette manière de penser chez Romain Gary, dire que le monde est difficile, mais que malgré tout, on doit faire avec. Il y a également autre chose, “Gros Câlin” (premier spectacle mis en scène par Denis Rey concernant les œuvres de Romain Gary) et le “roi Salomon” sont des textes que Romain Gary a écrits sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Ici sous le déguisement d’ Ajar, l’écriture est beaucoup plus débridée et orale. C’est très dialogué. Je trouve que cela se prête tout à fait au théâtre. Le style est à la fois très écrit et en même temps très quotidien et prosaïque, mais aussi très poétique.
Après la mise en scène de “Gros-Câlin”, s’est-il imposé naturellement à vous d’adapter une autre œuvre de Romain Gary au théâtre ?
Depuis des années, j’avais pour projet de monter Gros-Câlin et cela a fini par ce faire. Pour être honnête, je ne pensai pas faire une autre pièce de théâtre avec les réalisations de Romain Gary. En jouant Gros Câlin, j’ai continué à lire les romans de Gary ou d’Émile Ajar et je suis tombé sur le roi Salomon et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec cette œuvre. L’épaisseur des personnages m’a beaucoup plus. C’est un univers dans lequel je me reconnais beaucoup.
Concernant les personnages, le spectateur peut-il s’attacher à eux ?
Je l’espère ! Les personnages sont terriblement humains dans leur contradiction et dans leur volonté de vivre coûte que coûte. Donc j’espère que cela parle au spectateur. Ce sont des faibles, ce n’est pas péjoratif dans ma bouche ni dans celle de Romain Gary, qui fait une sorte d’hymne à la faiblesse. Ce ne sont pas des super héros, mais des gens du quotidien. J’espère que le spectateur aura de l’empathie pour les personnages parce que nous sommes tous dépourvus face au monde tel qu’il est. Une symbolique plus que jamais ancrée dans le réel, au vu de l’actualité de ces derniers jours. Gary montre des gens vulnérables au monde. D’ailleurs, c’est cela qui fait rire. Ce qu’adorait Gary, c’est les Chaplin, les burlesques et les comiques. De fait, on assiste à leurs malheurs.
Les sujets traités dans ce dernier roman de Romain Gary, selon vous, sont-ils toujours d’actualités ?
Bien sûr ! Ils le sont puisque dans l’angoisse du roi Salomon cela met en scène un narrateur qui est tout seul face à des protagonistes qui sont beaucoup plus vieux et en fin de vie. Salomon le héros du titre à 85 ans donc on a peur que la mort arrive bientôt. Il est question de la vie, du temps qui passe, de l’infinitude, de la mort, des regrets, des rancunes puis surtout, de réconciliation. C’est-à-dire que Salomon et Cora Lamenaire, une vielle chanteuse dont il est question dans le roman, se sont aimés il y a quarante ans en arrière et se sont disputés et ne veulent plus se parler l’un l’autre. Jean, le narrateur, fait en sorte de les réconcilier. De ce fait, c’est une hymne à l’amour. Cela fait fleur bleue de dire cela, mais tout de même c’est joli l’amour. Ce n’est pas aimez-vous les uns les autres, mais plutôt : parlez-vous, téléphonez-vous, tendez-vous la main et essayez de vous réconcilier au lieu de rester chacun dans son coin bloqué dans des rancunes qui ne font pas avancer le bonheur.
Le public peut-il être sensible aux sujets abordés dans « L’angoisse du roi Salomon » ?
Je le pense. Franchement, ce sont des thèmes universels qui sont abordés dans ce roman-là. En plus, il est question de la condition juive et de la Shoah. Un sujet qui a marqué le XXᵉ siècle jusqu’à aujourd’hui. À mon sens, c’est complètement en résonance avec la condition humaine qui est la nôtre aujourd’hui.
Vous dites « parce qu’à l’heure du dérèglement humain, un peu de fraternité ne peut pas faire de mal… », donc pour vous il est important de placer la fraternité au cœur de cette pièce de théâtre ?
Oui, c’est aussi un mot qu’emploi beaucoup Gary dans ses interviews et bouquins. C’est une idée qu’il défend beaucoup, en particulier dans ce roman qui est le dernier avant sa mort. Je pense que le texte, et l’œuvre Gary en général, parlent de tendresse et de fraternité.
Vous êtes-vous permis quelques libertés sur la mise en scène de cette œuvre ?
C’est une adaptation d’un roman. De fait, c’est une trahison, mais je l’assume, il y a des coupes énormes dans le texte. Je me suis autorisé, comme c’est une adaptation, à sacrifier certains passages et m’en approprier d’autres. Par contre, pour ce qui est de l’écriture, tout ce qui est dit sur scène est du pur Romain Gary. Je n’ai rien retouché du texte.