Nous connaissons tous la triste aventure de ce jeune compositeur italien de 25 ans présentant sa première œuvre lyrique à un Concours en 1883. Dans une naïveté bien compréhensible à son âge, Giacomo Puccini a écrit pour cela une courte pièce d’une heure environ intitulée Le Willis. Ce qu’il ignore c’est que le jury censé la juger est complètement manipulé par des éditeurs. Échec donc, mais fort heureusement des oreilles autrement neutres s’emparent de cette œuvre et la feront créer à Milan au Teatro Dal Verme en 1884.
L’ouvrage sera remanié à plusieurs reprises mais ne s’imposera jamais, notamment par le fait qu’il ne peut constituer à lui seul l’objet d’une soirée. Saluons donc l’initiative de l’Orchestre national du Capitole de l’avoir programmé dans sa saison de concerts. D’autant que l’œuvre est avant tout symphonique. Cette partition dévoile sans ambiguïté aucune un véritable génie de l’orchestration, des couleurs, des rythmes et une originalité mélodique qui rend la phrase puccinienne reconnaissable entre toutes.
Et il y a fort à parier que le compositeur de Turandot aurait applaudi l’interprétation que nous en donne en ce soir du 5 février 2022 l’Orchestre national du Capitole sous la direction électrisante de Speranza Scappucci. Elle embrase l’ouvrage avec un sens de sa dramaturgie qui porte à lui seul tout le drame. Les pupitres rivalisent de virtuosité, l’orchestre sonne royal dans une italianité renversante.
La cheffe a bien compris tout ce que ce jeune compositeur a mis de son cœur dans cet opéra dont les lignes sont gorgées de pulsions humaines et fantastiques. Le Chœur du Capitole, bien que masqué, sous la direction de Patrick Marie Aubert, affronte sans peur une partition qui le sollicite grandement. Trois solistes se partagent les rôles de ce mini-opéra. Alexandre Duhamel, après nous avoir à moitié convaincu in loco il y a peu de temps avec son Escamillo, nous revient ici en Guglielmo doté d’un magnifique phrasé, l’italien donnant une rondeur et une assise à sa voix qui confèrent à son air (unique) une belle noblesse. Joyce El-Khoury (Anna) fait avant tout valoir un beau registre aigu, le médium et le grave demeurant confidentiels.
Mais le héros de l’ouvrage est incontestablement Roberto, ce fiancé séduit par une « sirène » et qui le paiera de sa vie. Car Anna, morte de chagrin, est devenue une villi vengeresse ivre de sang. Remplaçant Charles Castronovo initialement prévu, le ténor italien Luciano Ganci se lance dans ce rôle réclamant un organe de lirico-spinto en acier pour un rôle particulièrement orchestré et hérissé de si bémol ravageurs. Le triomphe personnel que lui a fait l’auditoire est à la mesure d’une interprétation éclairée par un timbre d’une densité extraordinaire et une projection sur l’ensemble de l’ambitus qui a fait fi d’un orchestre pourtant très présent.
Une mise en espace sans intérêt aucun, signée Marie Lambert Le Bihan, a tout de même partiellement gâché le plaisir d’entendre certaines répliques des chanteurs, ceux-ci étant au gré des situations placés dos à une partie du public. Dommage ! Mais ne boudons pas davantage pour de telles scories sans importance finalement face à la magnifique découverte, pour beaucoup, de cet ouvrage portant en germe le génie, répétons-le, d’un des plus grands compositeurs lyriques.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole