Impossible de ne pas signaler en premier, la performance du Théâtre que de vouloir présenter un opéra, Carmen, en ces temps si complexes. Touché, coulé, une vraie bataille navale qui se joue en permanence sur scène et en coulisses depuis les répétitions. La mission pourra-t-elle aller jusqu’à son terme ? OUI, répond l’oracle.
Pour ma part, et pour l’instant, Générale, Première du vendredi et séance du dimanche. Au fil de ces représentations éreintantes pour les artistes et tout le staff, saisissons les moments que ce sinistrissime virus a bien voulu nous accorder. Et tout d’abord les retrouvailles avec mise en scène, décors et costumes et lumières et vidéo d’il y a quatre ans, le tout sous la responsabilité de Jean-Noël Grinda. Si certains détails avaient alors pu déranger, je ferai simple en disant que nous sommes en Espagne, et que Carmen de Georges Bizet et de Meilhac et Halevy en a le droit, d’être en Espagne. Il y a bien eu lecture avant travail scrupuleux sur le texte. On relève avec bonheur ni incongruité ni vulgarité dans aucune scène d’un bout à l’autre. Rien de gratuit ni d’artificiel, non plus. Pas de tics récurrents et c’est si rare maintenant chez un réalisateur. Comme à la manière d’un Martin Kusej, on note pendant le Prologue quelques éléments de la scène finale qui, avec une logique implacable se déroule identique aux images de départ. Pourquoi pas ? À part l’exécution, si l’on peut dire, de Carmen, pas d’autres meurtres sur scène. La scène finale reste ainsi, non pas le seul moment d’opéra, mais le plus grand.
À la tête du plateau et de la fosse avec ses musiciens disponibles, Giuliano Carella est à son affaire, à l’écoute permanente du plateau et, avec la dose de théâtralité nécessaire, Carmen avance, irrémédiablement, vers son destin. Les moments de lyrisme sont en tout point respectés. Quant au Chœur et à la Maîtrise, Patrick-Marie Aubert et Gabriel Bourgoin ont réalisé des prouesses avec les chanteurs disponibles qui, mis à part les enfants, ont dû chanter avec leur masque. Quel dommage tout de même.
Ensuite, je me contenterai d’énumérer les disons, comprimari, qui participent avantageusement à la réussite des moments que j’ai pu suivre, soit, Jean-François Blot en Zuniga, Victor Sicard en Moralès, Marie-Bénédicte Souquet en Frasquita, Grace Durham en Mercédès, Olivier Grand en Dancaïre, Le Remendado Paco Garcia et Frank T’Hézan en Lillas Pastia. Je les ai vus chanter sans masque et, avec masque hélas le dimanche. Je n’oublie pas la danseuse Irène Rodriguez Olvera. Remarque, je lis que Julien Véronèse entre dans la troupe en Zuniga ainsi que Lachiri-Papageno !en Dancaïre, qui lui ira très bien…
Soulignons comment Elsa Benoit illumine Micaëla par un art du chant d’une perfection troublante et qui a emporté la salle, quand on sait la fragilité de l’écriture de son rôle qui peut vous démolir la ligne de chant si le trac prend le dessus. Alexandre Duhamel est un jeune Escamillo tout à fait crédible et efficace, sans coup de menton intempestif.
On en arrive aux deux rôles principaux. J’ai déjà exprimé sur les réseaux comment il m’apparaissait que chacun avait trouvé sa chacune. Comment Marie-Nicole Lemieux avait trouvé son Don José, et comment Jean-Louis Borras avait trouvé sa Carmen. Il a su l’attendre, le temps qu’il fallait. La quarantaine lui va fort bien. Notre ténor, n’aboie pas, ne vocifère pas, il chante. Chant raffiné et musical et expressif aussi bien dans la joie que dans le désespoir. Chant avec tous les moyens vocaux nécessaires et la couleur sombre des vraies Carmen pour elle. Saisir le personnage de Carmen n’est pas commode. On a tout dit de la femme engagée, libre, qui décide de son quotidien, si elle le peut. Et quel engagement scénique pour les deux. Et encore cette prononciation, cette articulation, cette netteté d’intonation et de diction qu’on n’espère plus. De plus, aussi bien l’un que l’autre, ils trouvent au moment voulu le jeu qui fait croire à leur personnage et c’est une belle performance. Comme J.L. Borras pour Don José, M.N. Lemieux peut mettre Carmen à son répertoire.
Remarque : N’oublions pas que nous sommes en 1875, en Espagne, dans un milieu particulier, de bohémiens et contrebandiers, nourris au spectacle de la corrida, que le livret repose sur un écrit qui a déjà une trentaine d’années (1845) écrit par un certain Prosper Mérimée, très sensible à l’art ibérique, et précepteur un temps, d’une certaine Eugénie de Montijo !!
Il reste 4 représentations. On espère qu’elles ne seront pas trop entravées, perturbées puisqu’elles affichent complet.
photos © Mirco Magliocca