Le public toulousain l’a découvert, et ovationné, lors des dernières reprises in loco de La Force du destin de Giuseppe Verdi, en version concert, pandémie oblige. C’était en mai 2021. Il n’est rien de dire combien l’attente était depuis impatiente de l’entendre à nouveau, mais sur scène. Ce sera le cas avec les représentations de Carmen qui ouvrent cette nouvelle année au Théâtre du Capitole. Auparavant nous l’avons rencontré pour un entretien sans fard, d’une sympathique générosité.
Classictoulouse : Comment avez-vous découvert l’opéra ?
Amadi Lagha : A l’Université de Paris 8, dans le cadre d’un atelier-théâtre j’ai commencé à chanter lyrique. En fait je me suis toujours amusé avec ma voix depuis que j’ai 14/15 ans. De plus je joue de la guitare classique et jazz. En parallèle à l’Université où j’étais inscrit en musique et musicologie j’ai fait le Conservatoire et petit à petit, ma voix aidant, j’ai découvert l’art lyrique.
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’opéra ?
AL : Jouer sur scène et la performance vocale. Ce qui m’intéresse avant tout c’est ce moment extraordinaire pendant lequel on peut être en communion avec le public, lui transmettre nos émotions et notre art en dehors de tout medium. C’est pour cela que je ne suis pas très fan de tout ce qui est diffusion au cinéma ou par cd et dvd. De plus je trouve personnellement que c’est toujours mal enregistré. La véritable vibration n’y est pas. Cela dit les goûts ont changé et la performance vocale, sans passer au second plan n’est plus l’impératif majeur dans les théâtres où la mise en scène, parfois hystérique, donne la première place à la performance scénique, au risque de mettre le chanteur en difficulté. Fort heureusement ce n’est pas du tout le cas de cette Carmen ! Il est commun d’entendre des critiques sévères sur les chanteurs du passé, taxés de statisme, mais si vous les écoutez bien vous entendrez toutes les émotions qu’ils font passer dans leur chant.
Avez-vous des modèles parmi les chanteurs du passé ou d’aujourd’hui ?
AL : Mes références appartiennent au passé. Le ténor idéal n’existe que dans les fantasmes. Peut-être est–il un mélange de Pavarotti, del Monaco et Corelli ? A leur époque la voix était prise plus au sérieux. Des modèles pour mes rôles ? Franchement j’en écoute beaucoup et ensuite je me fais ma propre interprétation. D’autant que, et pardon de revenir là-dessus, les enregistrements, quels qu’ils soient, compressent beaucoup les voix, les grandes voix surtout et du coup il est difficile d’imaginer entendre la vraie vérité dans une interprétation vocale enregistrée.
Votre premier rôle sur scène ? Où ?
AL : J’ai alterné, pour remplacer un collègue défaillant, Rodolfo de La Bohème et Calaf de Turandot. C’était en plus au festival de Torre del Lago, la patrie de ¨Puccini !
Comment qualifiez-vous votre voix aujourd’hui en termes de tessiture ?
AL : La couleur se définit dans la projection. Techniquement je me « balade » un peu entre des catégories voisines car je suis capable d’alléger mais je pense que je suis un lirico-spinto. C’est ma nature vocale.
Venons-en à Don José. C’est un rôle que vous connaissez bien. En dehors du travail du metteur en scène, tracez-nous un portrait de ce personnage ?
AL : Effectivement je l’ai chanté déjà à plusieurs reprises. Au début c’est toujours un enfant sous l’emprise de sa mère. Il est loin d’elle, un peu perdu. De même je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment amoureux de Carmen. Un coup de foudre certainement mais peut-être pas davantage car pour moi il n’a pas beaucoup d’expérience en la matière. Cela dit c’est un rôle qui réclame une parfaite gestion de son énergie car le quatrième acte est redoutable.
Les Toulousains ont fait votre connaissance avec La Force du destin en version concert, une version dans laquelle nous vous sentions bien à l’étroit dramatiquement. La théâtralité est-elle un élément important pour vous ?
AL : Je comprends votre question mais je tiens d’abord à dire que la théâtralité ne consiste pas à se démener sur scène dans tous les sens. La théâtralité est avant tout dans la voix, que ce soit dans la joie comme dans la souffrance ou la peur, l’attente. Bien sûr le corps doit accompagner. Sans exagérer cependant. Je cite souvent le cas de certains théâtres allemands dans lesquels j’ai chanté et dans lesquels le théâtre passe avant la voix et même la musique. Tout évolue je comprends bien mais il ne faut pas se couper comme cela du passé. Sérieusement, la vocalité d’une Mirella Freni et d’un Luciano Pavarotti sont toujours d’actualité. Elle le restera à mon avis très longtemps encore, en fait toujours. Une voix d’opéra, c’est cela et rien d’autre.
Vos prochaines apparitions ?
AL : Je reviens au Capitole pour ma prise de rôle de Steva dans la Jenufa de Janacek cette saison. Le Tchèque est pour moi une découverte et un vrai challenge. Après vont s’enchaîner des Tosca, Pagliacci et Carmen, Voilà pour l’immédiat.
Le rôle de vos rêves, en dehors de toute considération de tessiture ?
AL : C’est un peu comme dans la vie, on est toujours attiré par l’impossible. Je crois que je rêve que je suis une basse en fait. Mais une vraie basse, du genre qui fait trembler tout le théâtre ! Allez, plus sérieusement j’aurais aimé pouvoir interpréter un répertoire qui va m’échapper complètement et que pourtant j’adore : le baroque. Le style ne correspond pas du tout ni à ma vocalité ni à ma technique. On m’a déjà proposé Otello, J’ai refusé… pour l’instant. Il n’y a pas d’urgence.
Propos recueillis par Robert Pénavayre