LE LION EST MORT CE SOIR
HOMMAGE à L’IMMENSE ARTISTE : Nelson FREIRE
Le soir du jour de la fête de tous les saints, la veille du jour de la mémoire des morts, un très grand monsieur est mort dans la plus grande discrétion dans une journée qui de toute façon parle de deuil. Comme s’il n’avait pas voulu nous déranger outre mesure. Car NELSON FREIRE était ainsi, la discrétion même, le tact et la bonté. Son regard était incroyablement rempli de bonté. En tout cas quel pianiste il est et demeure grâce à de si nombreux enregistrements et de souvenirs inoubliables dans le cœur des mélomanes. Assister à un concert du Grand Homme était une expérience particulière.
Pour ma part je dois l’avouer ce fut grâce à Martha Argerich qui était sa partenaire mais surtout son amie fidèle, sa grande sœur. Mais ensuite je n’ai jamais manqué une occasion d’assister à l’un de ses concerts qui chaque fois m’a comblé. Cet extraordinaire musicien savait parler au cœur du public, respectant comme peu le caractère de chaque partition, sachant mettre le compositeur en avant alors que son jeu était absolument parfait avec des fulgurances et une virtuosité incroyable.
Les dernières fois que je l’ai entendu c’était à Toulouse et à la Roque d’Anthéron en 2017 puis en 2018 toujours à La Roque d’Anthéron dans le deuxième concerto de Brahms dirigé par Lio Kuokman dont nous avons pu rendre compte du dernier concert à Toulouse il y a peu. Ce qui nous avait frappés outre les qualités musicales et techniques incroyablement préservées avec les ans, c’est le respect qui l’accompagnait. Combien de collègues pianistes de tout âge étaient dans le public pour apprécier cette musicalité hors pair. C’était donc un roi incontestable et cela malgré l’immense modestie qui était la sienne. Comme son jeu était particulièrement élégant, racé, souple et puissant, l’image d’un félin et même du roi des animaux s’imposait facilement. Ainsi le Roi est mort ce soir, le lion s’est éteint.
Originaire du Brésil où certes il n’y a pas de lion mais des forêts dignes de jungles, je souhaite plutôt que de la musique « classique » attendue, retrouver cette version du « Lion est mort » par Les Pow Wow pour lui rendre hommage.
Pour sa générosité et sa belle amitié avec elle, la valse de Ravel avec Martha Argerich est une chose à connaître, avec le temps elle n’a pas perdu de son charme quasi vénéneux, bien au contraire, les voici en 1982 et 2003.
Quand un immense artiste nous quitte nous avons la chance de pouvoir revisiter son legs discographique, faire des recherches sur le net et les hommages fleurissent. Ne doutons pas qu’une réédition de ses enregistrements par DECCA, sa maison de disque fidèle, sera faite. En attendant j’ai réécouté les enregistrements que j’ai dans mon « cloud » et à disposition loin de chez moi et je livre mes favoris préférés, choix éminemment subjectif que je propose de partager.
L’enregistrement des concertos de Brahms avec Riccardo Chailly. Il y a chez ces deux romantiques un souffle puissant et lumineux qui envoûte. La précision des doigts de Freire est sœur de celle de la direction de Chailly. Un quasi miracle dans le deuxième concerto qui représente de loin ma version préférée. Ce qui me frappe le plus est la manière d’unifier le jeu tout au long du premier mouvement très complexe. Le piano de Nelson Freire chante, coule, irradie de beauté et la profondeur humaniste de l’artiste est perceptible. Un très, très grand moment de musique et l’orchestre du Gevandhaus de Leiptzig n’est pas en reste.
Soyons clair, tout ce qu’il a enregistré est intéressant, tout ! Là je parle vraiment de mes coups de cœur absolus. Après ce deuxième concerto de Brahms, il y a son dernier récital Bach.
D’autant qu’il m’a été offert par un ami, ce qui le rend encore plus précieux. Le début de l’enregistrement avec la quatrième partita et la troisième suite anglaise est agréable avec ce refus de faire sentir les marteaux du piano si caractéristique du jeu de Freire qui est à l’opposé d’un Glenn Gould. Mais l’écoute de la Fantaisie chromatique avec sa fugue nous emporte loin, très loin, vers la musique pure et le ciel de l’humanisme le plus absolu. Et quel piano ! Quel jeu !! Nelson Freire a des moyens techniques absolument phénoménaux entièrement mis au service de la partition. Et ensuite l’humanité la plus généreuse, la plus belle, la plus empathique dans ces arrangements de pièces vocales arrangées. Le chant du piano de Nelson Freire est unique. Et dans le dernier « Jésus que ma joie demeure » c’est le paradis qui s’ouvre pour nous tous…
Puis un disque de Schumann avec Carnaval, Papillons et Scène d’enfance. Il prend le parti de donner à Schumann la part de lumière qui met en valeur la beauté des mélodies, la richesse des harmonies étrangement belles et surtout les rythmes si surprenants avec une grande souplesse. Son Schumann est romantique mais avec plus de lumières que d’habitude.
Tout Chopin chez lui est merveilleux, je garde une grande tendresse pour la troisième sonate que j’ai entendue en concert et qui m’a enchanté et me ré-enchante à chaque écoute par les qualités de timbres, de chant et de précision sans raideur. La souplesse rythmique est également délectable.
Voilà donc un musicien au message très personnel qu’il ne faudra pas oublier. Surtout quand la horde des pianistes virtuoses aux dents longues qui arrivent de partout, jusque de l’autre bout du monde, menace de nous submerger avec ce « piano générique virtuose » si vain.
Certes Nelson Freire jouait du piano, et comment ! Mais il faisait surtout de la MUSIQUE et restait humain, profondément. La tendresse qui émanait de sa personne avec son sourire dans les yeux se perçoit dans la manière dont il interprète la musique. Je laisse donc la tristesse à la porte et je partage ses enregistrements qui je pense resteront toujours proches de moi.