La 26ème édition de Toulouse les Orgues poursuit sa démarche d’accommodation de l’orgue dans des recettes aussi bien traditionnelles que créatives : récitals, duos avec des ensembles instrumentaux ou vocaux, en dialogue avec du cinéma, de l’accordéon, et même… de la contorsion !
Les notes et le corps
Le 12 octobre, la cathédrale Saint-Etienne accueillait le projet « Bach Metamorphosis », dans lequel la musique de Jean-Sébastien Bach, jouée par Yves Rechsteiner, entre en résonance avec l’art de la contorsionniste Lise Pauton. Ce soir-là, dans la nef gothique et ses stalles boisées, le public se rassemble autour d’une estrade entourée d’un cercle de lumière. Sur cette scène, la jeune contorsionniste, à la fois danseuse, chorégraphe et gymnaste se livre à une traduction corporelle de la musique de Bach qui émane du bel orgue en nid d’hirondelle de la cathédrale.
Aux commandes de l’instrument reconstruit par Alfred Kern, Yves Rechsteiner, le directeur artistique du festival, revisite de grandes œuvres de Johann Sebastian Bach. En quelques années, il a réalisé les transcriptions pour l’orgue des sonates et partitas pour violon seul, prolongeant ainsi une pratique courante à l’époque de Bach et plus récemment encore. Il a ainsi été amené à harmoniser et enrichir les lignes mélodiques destinées à l’instrument monodique qu’est le violon, pour l’instruments le plus polyphonique qui soit !
Le concert du 12 octobre s’ouvre sur la Sinfonia de la Partita n° 3 BWV 1006 : une entrée en matière brillante et solennelle. Suivent les étranges nappes sonores d’une improvisation qui accompagne la très lente entrée de Lise Pauton. C’est alors que s’ouvre un fascinant dialogue entre les ondes sonores de l’orgue et les mouvements d’une souplesse extrême du corps de la contorsionniste. Quatre mouvements de Sonates pour violon, transcrites pour l’instrument-roi, suscitent les interventions visuelles de Lise Pauton, comme habitée par la musique. Rien de redondant dans ces mouvements qui suggèrent plus qu’ils n’accompagnent.
Une nouvelles improvisation sous forme de nappes sonores rappelle la danseuse-chorégraphe avant la transcription des quatre premiers mouvements de la fameuse Partita n° 2 en si mineur, au cours desquels une chevelure « à la Mélisande » ponctue le déroulement de l’œuvre. La troisième improvisation déchaîne un véritable cataclysme qui introduit la phase finale de ce dialogue en forme de correspondance, au sens baudelairien du terme. Le mouvement final, la célèbre Chaconne, de la même Partita n° 2, magnifie cette conclusion en forme d’apothéose.
Ainsi s’achève ce voyage aux accents mystiques au cœur de la musique de Bach le grand.
La voix des anges
Le 16 octobre, en l’église de la Dalbade, le bel orgue Puget accueillait la Maîtrise du Conservatoire de Toulouse sous la direction de Mark Opstad ainsi que l’organiste britannique William Fielding dans un programme musical à la fois exigeant et stimulant comprenant la rare Messe pour double chœur a capella de Frank Martin et le célèbre Requiem de Gabriel Fauré.
Créée en 2006 au sein du Conservatoire de Toulouse et dirigée depuis par Mark Opstad, la Maîtrise de Toulouse est la première structure maîtrisienne du sud-ouest de la France. La qualité exceptionnelle que cet ensemble vocal a rapidement atteinte lui a permis de recevoir en 2017 la prestigieuse récompense que représente le Prix Liliane Bettencourt pour le Chant Choral – édition spéciale maîtrises et chœurs d’enfants. Sous la direction artistique de Mark Opstad, expert en la matière, la Maîtrise a donné plus d’une centaine de concerts et enregistré plusieurs albums CD acclamés par la critique internationale. La prestation de ce grand chœur lors du concert du 16 octobre confirme et renforce encore les qualités d’un ensemble d’exception.
Le jeune organiste William Fielding vient de terminer, au Conservatoire de Toulouse la première de deux années de perfectionnement de la pratique de l’orgue avec Michel Bouvard. Ce jour-là, à 15 h et à 18 h, il accompagne la Maîtrise dans la version avec orgue du Requiem de Fauré.
La première œuvre inscrite au programme n’est autre qu’une pièce longtemps oubliée. En effet, le composteur suisse Frank Martin a écrit cette Messe à huit voix pour double chœur vers 1922 sans en assurer la diffusion ni l’exécution. Ce n’est qu’un demi-siècle plus tard qu’elle a enfin été jouée et publiée. Sous la direction précise et expressive de Mark Opstad, les jeunes chanteurs de la Maîtrise s’emparent de cette écriture complexe et raffinée avec une autorité exemplaire. Comme héritier du chant grégorien, le langage de Frank Martin joue sur les finesses rythmiques autant qu’harmoniques que l’exécution porte vers une sorte d’idéal choral : précision, justesse et néanmoins liberté expressive.
Avec le fameux Requiem de Gabriel Fauré, l’ensemble vocal se lance un défi qui s’avère amplement relevé. Cette vision apaisée du trépas qui lui a valu le titre de « berceuse de la mort » se traduit par un chant d’une douceur mais aussi d’une intensité expressive remarquables. Perfection formelle et sensibilité font bon ménage. L’alternance des espaces contemplatifs et des plage d’intense ferveur construit une interprétation vivante d’une grande beauté. L’apport de l’orgue s’avère déterminant avec ses choix colorés de registration, son aptitude à ménager crescendos et decrescendos, son soutien sans faille.
Les interventions des deux solistes vocaux sont également à souligner. Le baryton s’insère dans le tissu choral avec finesse et beauté du timbre. Mais comment rester de marbre à l’écoute du sublime Pie Jesu incarné avec cet exceptionnel mélange de tendresse et de ferveur par un tout jeune garçon touché par la grâce ? Si la « voix des anges » caractérise l’ensemble du chœur, il faut parler ici de « voix de l’archange ». L’émotion est à son comble et la gorge se serre à son écoute…
L’épisode final In Paradisum ramène enfin la paix de l’âme.
Le succès enthousiaste de ce concert témoigne de l’impact d’une telle prestation qui renforce encore l’importance musicale de ce beau festival.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse