Opéra en un acte de Richard Strauss, Elektra est de retour au Théâtre du Capitole avec une nouvelle production, après moult représentations de la précédente dans l’antre gigantesque de la Halle aux Grains. C’est du 25 juin et ce, jusqu’au 4 juillet, que l’on verra la musique du plus sanglant des opéras de son compositeur porter chaque mot du livret d’Hofmannsthal à son degré d’ultime incandescence.
« …jamais Strauss n’a été plus avant dans la peinture de l’âme profonde , de la douleur. Il ne me semble pas qu’il y ait dans Elektra quelque chose d’aussi extraordinaire que la fin de Salomé. Mais c’est plus grand. Dans la scène de la reconnaissance d’Oreste par Electre, il touche au sublime du cœur… » 13 février 1909 – extrait d’un courrier de Romain Rolland
Respirez, soufflez, et vous êtes fins prêts pour presque deux heures de musique et de chant se déversant comme un torrent de laves incandescentes. Les accalmies seront rares. Elektra est une tragédie musicale sur le livret du poète, dramaturge, écrivain Hugo von Hofmannsthal retraçant le cheminement de la vengeance implacable de la fille d’Agamemnon, directement inspiré de la tragédie de Sophocle sur la légende des Atrides. Dans cette partition toute de bruit et de fureur, la rencontre entre Electre et son frère jadis perdu, Oreste, sera comme un havre d’apaisement et de tendresse en même temps que l’acmé de l’ouvrage, un des sommets musicaux de cette création démesurée, aux méandres multiples contant l’histoire de ce duo tragique, fraternel et lyrique.
L’ouvrage fut créé à l’opéra de Dresde le 25 janvier 1909. La direction musicale est assurée par Frank Beermann, un chef qui sut mettre le Théâtre à genoux pour sa première apparition dans la fosse en dirigeant Parsifal. Côté théâtre, Michel Fau sera dans son élément après la démonstration convaincante ici même de sa mise en scène de l’Ariane à Naxos. Passionné par l’ensemble des œuvres du compositeur dans sa globalité, il tient à ce que la tragédie que décrit cette œuvre radicale soit non pas sordide mais effrayante d’accord tout en étant éclatante. Il sera aidé en cela par des artistes tels que Hernán Peñuela à la scénographie, le sculpteur et peintre Phil Meyer pour les décors, Christian Lacroix aux costumes, ce qui devrait nous éviter un défilé Emmaüs comme souvent pour cet opéra, et, très important, Joël Fabing aux lumières : tout le monde a encore le souvenir dans les yeux du bateau éclairé de la dernière scène d’Ariane à Naxos.
Côté chant, Elektra est un opéra de femmes, car Oreste, noble “vengeur“ ne peut contrebalancer la puissance le déchaînement de ces trois grands rôles “compositionnels“ que sont Electre, (farouche, inflexible, “brûlée intérieurement“ par l’esprit de vengeance et une haine surhumaine), Klytemnestre, (névrosée, torturée, hallucinée, tremblante de colère, et paralysée par une angoisse épouvantable), et Chrysothémis, seul personnage humain de cette tragédie.
Le rôle-titre, c’est pour la soprano dramatique autrichienne Ricarda Merbeth, la Die Kaiserin de La Femme sans ombre au Théâtre en 2006, et depuis, toujours fidèle à Richard Strauss, passant par Chrysothémis avant d’arriver à Elektra, comme il se doit. Isolde, Senta, Marie, Brünnehilde…sont déjà au répertoire. Nous découvrirons pour la première fois ici même, la soprano dramatique finlandaise Johanna Rusanen qui chantera Chrysothémis, la demie-sœur d’Électre. Quant à la mère, Clytemnestre, c’est pour la mezzo-soprano/ soprano lituanienne Violeta Urmana. Elle a abordé tous les rôles de soprano ou mezzo de l’opéra italien que sa large tessiture lui permet.
Un Oreste de grand luxe avec Matthias Goerne qui nous avait subjugués dans le rôle d’Amfortas dans Parsifal et qui nous a crucifié dans un récital formidable il y a quelques jours en interprétant La Belle meunière de Franz Schubert. Frissons assurés dès les premières syllabes qu’il chantera à savoir : « Ich muss hier warten » ou encore quand tout son corps frissonnera devant la tâche à accomplir, irrémédiablement.
Égisthe, le veule amant de Clytemnestre, assassin d’Agamemnon, c’est pour le ténor Frank van Aken, un rôle court, juste quelques répliques, pour le “beau-père“ exécré, méprisé, à qui Electre refuse le nom d’homme, tout en le conduisant à son bourreau. Un être à la fois raide et naïf au comportement impérieux d’un rustre dont le phrasé ne sera pas sans trahir quelques failles.
Enfin, la distribution se complète par un lot de servantes parmi lesquelles nous retrouvons la Cinquième Servante de Marie-Laure Garnier, artiste déjà rencontrée sur cette scène et lauréate des dernières Victoires de la musique mais aussi, Barnaby Rea en précepteur d’Oreste, basse fort remarquée dans La Force du destin il y a quelques jours dans les rôles d’Alcade et du Chirurgien.
Bien sûr, dans la fosse, mais pas tout à fait ! c’est la surprise, les musiciens de l’Orchestre du Capitole dans un effectif disons, considérable, avec une diversité dans les cuivres comme dans les vents et encore dans les percussions. Le tout complété par des éléments du Chœur du Capitole toujours sous la direction d’Alfonso Caiani.
Synopsis
Nous sommes dans la cour d’un palais délabré de Mycènes. Dans l’âme d’Électre, à peine nubile, rougeoie une haine sans bornes pour sa mère Clytemnestre, meurtrière de son seul amour, son père Agamemnon, aidée par son amant. Comment y mettre fin avant de perdre la raison ? Un seul moyen, noyer ce flot de haine dans celui du sang de la mère exécrée… et aussi, celui de l’amant et beau-père Égisthe. Sa névrose obsessionnelle – venger Agamemnon – ne souffre aucune ambivalence, ni aucune distraction. Elle supplie sa jeune sœur Chrysothémis de la suivre et de l’aider dans sa tâche. Mais, celle-ci ne se sent pas concernée, toute préoccupée qu’elle est par sa condition de femme, et souhaitant mener une vie toute simple de …femme. Elle revendique avec tout autant de véhémence, la défense du destin qu’elle a choisi.
Clytemnestre, monstrueuse et pitoyable, et en même temps, victime de la malédiction qui pèse sur la famille des Atrides, redoutant le pire pour son devenir, tente mais ne pourra faire amie-amie avec sa fille. Leur affrontement constitue bien une sensationnelle scène de théâtre chanté “hystérisée“.
Innocent et pur, sauvage et solitaire, le frère perdu, Oreste, est de retour. La scène de la reconnaissance progressive est l’un des sommets émotionnels, ou peut-être, LE. Reconnu par, les chiens d’abord, le précepteur ensuite et enfin par sa sœur qui l’a en son temps sauvé en l’éloignant, Oreste va derechef, accomplir son acte, de façon déterminé, solitaire, non sans trembler car sa jeunesse et sa sensibilité sont bien là. Sa mère assassinée, et en suivant, guidé par Électre, son beau-père, il ne reparaîtra plus. Loin d’Électre, Oreste reste la proie invisible des Erinnyes vengeresses, qui feront sombrer sa raison. (suite de l’histoire, éventuellement, dans l’Oreste de Haendel le 1er juillet avec Grands Interprètes) !!
Le bain de sang autour d’elle a été répandu. Électre va pouvoir exécuter sa danse frénétique et jouissive pour atteindre un sommet dans l’exacerbation, hallucinée, hallucinante. Seule elle était, seule elle restera et mourra d’une folle ivresse, en pleine apoplexie. Dernier mot de l’opéra prononcé par Chrysothémis : « Oreste ! Oreste !! »
Théâtre du Capitole