Ce morceau de choix devrait constituer le spectacle de réouverture de notre Théâtre du Capitole, si malmené depuis plus d’un an, privant son public de tant de beautés, assurément. Les conditions de reprise seront spéciales mais la frustration est telle que nombre d’“aficionados“ ne vont pas hésiter pour retrouver la Place du Capitole et son Théâtre.
Ce sera pour six représentations en version concert, sur une durée d’environ cent minutes chacune en fonction des contraintes sanitaires. Vous l’avez compris, la partition sera tronquée. En commençant à 18h 30, nous devons être avant 21h chez nous. Seules, les deux représentations du dimanche après-midi seront en version complète, celle du 30 mai et celle du 23 mai, Générale transformée en payante.
Véritable plat de résistance, l’opéra en question constitue un sommet, de par sa complexité au niveau du livret touffu, mais aussi par l’impressionnante qualité opératique de la musique. Ou, comment arriver à une telle osmose entre la musique, le chant et le théâtre. C’est du Verdi du meilleur cru. « Maledizione…maledizione » pourrait-on le résumer ainsi. Une véritable course à l’abîme avec un acte I où l’on proclame la malédiction et un acte IV où elle s’accomplit. Dans la version 1862, Alvaro se jette même dans le vide.
Les forces vives du Théâtre du Capitole, Orchestre et Chœur sont placés sous la direction du chef Paolo Arrivabeni.
Voilà un opéra qui réunit tous les contrastes de l’Europe: un compositeur italien, Giuseppe Verdi en pleine gloire, une intrigue espagnole tirée du drame La Fuerza del sino de l’espagnol Ángel Pérez de Saavedra, duc de Rivas, et un commanditaire russe. C’est en effet le tsar Alexandre II qui commande à Verdi une œuvre pour le Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg, acceptant le livret en question après avoir rejeté la proposition de Ruy Blas suggérée au départ par le compositeur (qui avait ce sujet un peu en réserve !). C’est le ténor Enrico Tamberlick qui aura servi d’intermédiaire. Ce mélodrame, Don Alvaro ou la Force du Destin, fut créé à Madrid vingt-cinq ans plus tôt. Un drame bien ancré dans le romantique espagnol avec ce qu’il peut offrir de plus extravagant dans le déroulement de l’action et la violence des sentiments. Encore une histoire d’ombre et de lumière, de passion et de lyrisme, créant des situations que goûte fort notre musicien italien. Force est d’avouer que le livret tire souvent sur la corde de la vraisemblance et que les excès romantiques sont ici poussés à leurs points de non-retour. Le livret est remanié par son compère Francesco Maria Piave, et par lui-même, comme à l’accoutumée.
Argument : Un homme, dit de basse condition, Alvaro, le baryton Amadi Lagha, tue accidentellement l’orgueilleux marquis de Calatrava, la basse Nicolas Courjal, père de sa maîtresse, Donna Leonora, la soprano Catherine Hunold, qui a un frère, Don Carlo di Vargas, le ténor Gezim Myshketa. Celui-ci entend envers et contre tout venger son père, et part à la recherche des deux amants maudits par le marquis. Pour se cacher, Alvaro va s’engager dans l’armée tandis que Leonora entre au couvent. Il y aura travestissements et invraisemblances à la clé, des hasards “abracadabrantesques“, mais des passages musicaux, de véritables diamants tels qu’on en oublie le livret. On est à l’opéra, ne l’oublions pas. L’absence d’unité de lieu et de temps ne facilite guère le suivi. Les hasards du destin font que l’amant en fuite va sauver le frère qui le cherche, qui ignorera l’identité de son sauveur, (l’occasion d’un duo époustouflant). On fait court : Carlo est blessé grièvement par son ami qui ne l’est plus, puisqu’il l’a reconnu et provoqué en duel. Il est secouru par sa sœur opportunément pas loin, hélas pour elle puisqu’il venge son père en la poignardant, et pour clore, Alvaro se suicide de désespoir (version 1862).
Vous avez deviné que ce mélodrame à tiroirs qui se déroule en quatre actes est bien difficile à résumer. La Force du destin n’en comporte pas moins certaines des plus belles pages du Verdi de la maturité. Nous sommes en 1862 et c’est la cinquantaine qui approche. On connaît la célébrissime ouverture, on sait moins qu’elle fut écrite seulement en 1869, lors de la deuxième révision, caractérisant la version milanaise. Il y a des airs admirables, pour tous les chanteurs de premier rang, et surtout pour Leonora, soprano dramatique. On pointe, la merveilleuse scène finale entre les deux hommes, “Fratello“, tout comme celle de l’acte II quand ils scellent leur amitié, et l’omniprésence des chœurs, véritable personnage à part entière. La dimension mélodramatique de cette Forza en fait une des œuvres les plus contrastées du musicien italien, car le tragique et le comique aussi y alternent avec un équilibre étrange. En effet, Verdi a voulu créer des scènes plus faciles, légères, qui introduisent même le rire dans le drame avec notamment, la jeune bohémienne, Preziosilla, la mezzo Raehann Bryce-Davis, et les moines du couvent Padre Guardiano, Nicolas Courjal, et Fra Melitone, la basse Sergio Vitale. Cela fait du monde sur le plateau, des scènes se succédant, difficiles à mettre en place d’où la version concert souvent choisie. Là, elle se révèle obligatoire. De plus, la distribution vocale est d’une grande exigence pour les chanteurs et monter une production de cet ouvrage, le plus long de Verdi, est un véritable pari.
Contexte : Le compositeur se trouve alors dans son domaine agricole de Sant’Agata, à 20km au sud de Crémone dans la plaine du Pô. Il a décidé de laisser la plume de côté après la création d’Un bal masqué deux ans plus tôt. Officiellement, il ne dirige plus, ne voyage plus. Il se rend encore parfois à Turin, où il a accepté le siège de député au Parlement, mais l’unité italienne est bien difficile à réaliser, et la mort de son ami Cavour, le “père du Risorgimento“ l’affecte énormément. Du coup, il se consacre davantage à la gestion de ses terres. Or, les travaux d’agrandissement de sa maison coûtent cher et la proposition de Saint-Pétersbourg est très lucrative, et donne à réfléchir. En homme d’affaires avisé, Verdi va accepter, malgré l’éloignement. Saint-Pétersbourg n’est pas à côté de Crémone, et une fois de plus, l’homme s’occupe de tout. La Force du destin est donc donnée pour la première fois à Saint-Pétersbourg le 10 novembre 1862. C’est un succès. Le tsar sera enchanté.
En 1862, le personnage principal de La Force du destin est Alvaro. Logique puisque Verdi l’avait composé « pour » le ténor Enrico Tamberlik. Alvaro subit les coups d’un destin implacable digne des héros romantiques les plus signifiants. Mais lorsque Verdi révise sa partition pour la reprise à La Scala en 1869, le rôle de Léonore est privilégiée. Son destin ne vaut guère mieux que celui de son amant. Mais pourquoi donc ce nouvel angle choisi? Eh bien, son interprète n’est autre que Teresa Stolz, que Verdi a rencontrée entre-temps lors d’une reprise de Don Carlo et dont il est tombé amoureux. Elle sera plus tard sa dernière compagne.
Enfin, pour le compositeur, dans La Force, le tragique et le burlesque sont inséparablement liés dans la vie. Aussi, s’est-il efforcé d’écrire un opéra dans lequel la ferveur de l’homme peut voisiner avec son ridicule. Pour le penchant burlesque, il ira chercher du côté de Schiller, avec des scènes non pas légères mais graves qui révèleront une vision du monde désespérée et grinçante. Par exemple, pour la grande scène du camp qui clôt l’acte III, Verdi s’est non seulement inspiré du drame de Rivas, mais aussi du Camp de Wallestein de Schiller, inspiré de la Guerre de Trente Ans. Par ce choix de scènes, Verdi souhaitait bien accentuer le côté dramatique des situations des protagonistes de ce sauvage chef-d’œuvre.
Théâtre du Capitole