Et ce, dans la même journée du mardi 20 avril, Ariane et Barbe-Bleue à 21h06 puis, en suivant, Norma à 23h13. Culturebox, canal 19 de la TNT.
Voici quelques extraits des comptes-rendus concernant ces deux récentes productions sensationnelles données par le Théâtre du Capitole sous la direction de leur nouveau Directeur artistique Christophe Ghristi. Un directeur qui fait front en ce moment, avec toutes ses troupes, aux multiples inconvénients déclenchés par la pandémie mondiale qui sévit. Cataclysme dont toute la planète souhaite ardemment la fin prochaine, en toute urgence.
Les deux productions filmées relatent bien l’orientation prise par le Théâtre sous l’impulsion de son Directeur, à savoir, en premier, le maître-mot qui est qualité, qualité, qualité qui ne peut que conduire à celui d’émerveillement au croisement de la musique, du chant et du théâtre. Opéra !! quand tu nous tiens !!
Sur l’Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas :
Sophie Koch fut la Lumière, mais ses pauvres sœurs d’Orlamonde ne l’ont pas comprise.
On le savait, l’Ariane de Paul Dukas est un rôle parmi les plus exigeants du répertoire féminin des scènes lyriques. Composant une Ariane souvent fascinante, Sophie Koch a relevé le gant et, centre d’une magnifique production, permis à cet opéra de connaître à nouveau la Lumière et la Vérité du Beau, dans tous les domaines, du chant, de la musique et du théâtre.
Revoir mon article-annonce et présentation de l’ouvrage de Paul Dukas, un parmi simplement les sept principaux qu’il a bien voulu sauver de sa production.
Ce qu’il y a de bien avec ce type d’ouvrage réputé difficile, c’est que sa rareté sur scène empêche toute comparaison hasardeuse et tous commentaires superfétatoires. Autant on peut se répandre sur une énième Carmen, autant, ici, il faut faire avec ce que les artistes nous livrent sans comparaison possible. Ce qui permet d’abord de s’enthousiasmer pour la musique de Paul Dukas, mais aussi de louer l’entente qui saute aux yeux et aux oreilles entre un metteur en scène responsable de tout sur le plateau, mise en scène, décors, costumes et lumières, Stefano Boda et un chef responsable de la fosse et tout ce qui se passe sur le plateau, Pascal Rophé. On ne peut alors, que se réjouir de l’exemplarité du travail d’ensemble. Musiciens et choristes (ceux-ci rejetés hors scène : effet saisissant,) de nos équipes “capitolines“ ont encore donné la preuve de leurs qualités, la fosse donnant constamment le ton, car ici, la musique est tout, c’est en elle que le drame s’accomplit. Après Verdi, Korngold, Donizetti, Richard Strauss, Dukas, ce sont des mets de premier choix.
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Aidée par sa Nourrice, Janina Bachle, belle voix de mezzo, parfaite dans les scènes des pierreries, c’est Ariane qui, par son geste profanateur d’ouvrir une porte close, va entraîner les cinq épouses vers la liberté, jusqu’à la dernière, Alladine, rôle muet interprété avec toute la tendresse requise par Dominique Sanda. Une liberté qu’elles vont refuser, une à une, incapables de quitter un tyran bien fatigué pourtant. Selysette, Ygraine, Bellangère et Mélisande sont idéales dans leur intervention respective, soit, Eva Zaïcik, Marie-Laure Garnier, Erminie Blondel, Andreea Soare.
Dans son refus des chaînes même les plus séduisantes, l’Ariane de Sophie Koch, parfait mélange de révolte, de force et de conviction, préfère sa magnifique solitude dans la Liberté et sera la seule à quitter la demeure au retour de leur seigneur et maître, déjouant même la pensée des paysans livrant leur maître blessé et qui pensaient les femmes séquestrées ou même mortes. Elle se délivre, comme les clairs diamants, emblèmes de « cette passion de la clarté qui n’a plus rien à vaincre qu’elle-même. » Dans son interprétation, Sophie Koch, présente sans discontinuer ou presque, est tout à fait royale, d’une prestance absolument idoine pour le personnage, avec un port de tête qui me renvoie quelques années en arrière dans sa définitive arrivée sur le plateau pour sa Présentation de la rose dans Le Chevalier, image impérissable !! Vocalement, on ne peut aussi que louer la performance…qui va oser me contredire ??
Quant à Norma, indestructible ouvrage de Bellini :
Quand l’opéra mène à tout. Norma embrase le Capitole
IL y avait belle lurette qu’on n’avait pas vu les habitués du public de Première ainsi “scotchés“ à leur fauteuil, ne se lassant pas de manifester leur enthousiasme, dès le rideau tombé. Une ouverture de saison idéale. Un faisceau d’éléments qui rend un ensemble tutoyant les cimes.
Et rebelote pour la Première avec une seconde distribution qui ne varie que très peu, après quelques soubresauts. Voir plus loin.
« Regardez-la à genoux, cette douleur de femme ensevelie dans la lumière. Cela n’aurait pas commencé si je ne l’avais baisée au milieu du cœur » fait dire Paul Claudel à la Lune dans le Soulier de Satin. – Anne Delbée
{…} Après, c’est un magnifique travail de théâtre sur mise en scène, décors, costumes et, pièce maîtresse, les lumières de Vinicio Cheli. Les vidéos d’Émilie Delblée sur les deux jeunes enfants vous mouilleront les yeux, c’est obligé. Un travail qui sert d’écrin à la musique et au chant, une denrée plutôt rare.
Le côté Théâtre étant vu et apprécié, passons à la musique, en précisant auparavant qu’aucun passage avec chant n’est pollué par une fantaisie de mise en scène. « Quand la lumière s’est faite musique. » Guido Pannain, ou encore, de Richard Wagner : « Tous les adversaires de la musique italienne rendront justice à cette grande partition, se disant qu’elle parle au cœur, qu’elle est l’œuvre d’un génie. ». Les Chœurs, magnifiquement préparés par Alfonso Caiani, et les musiciens de l’Orchestre, tous, dans la fosse et dans les coulisses, sont, une fois de plus, irréprochables, menés de main de maître par un chef omniprésent, Gianpaolo Bisanti, chantant et dansant sur sa petite estrade, réglant ce flot musical et scénique avec un brio étourdissant.
Et maintenant le chant. La trilogie de cette Première, Rebeka – Deshayes – Hernandez est un miracle. Celle du lendemain avec Kolonits, idem. Karine Deshayes assure les huit représentations : quel challenge. Peut-on oser affirmer que c’est une des plus belles Adalgisa du moment ? Vocalement et scéniquement. Une technique formidable, un art du bel canto admiré, richesse du timbre, beauté du phrasé. Peut-être quelques aigus un peu trop forte, mais c’est une jeune vierge volontaire qui résiste finalement à un “tombeur“ romain, chef des oppresseurs, et qui doit affronter aussi la grande prêtresse.
Quant à Airam Hernandez, crânement, pour une prise de rôle dans Pollione, voilà notre jeune ténor qui va mourir sur le bûcher dans huit représentations sans oublier la Générale. Quel toupet ! et quelle chance en même temps car, on va d’abord lui souhaiter ardemment, qu’il arrive à la dernière, mais c’est la voix et le timbre séduisant du jeune ténor préromantique qu’on semble attendre depuis 1831, après tant de braillards, mis à part à mon goût, encore une fois, un certain Franco Corelli. Il ne vous a pas échappé que le rôle du point de vue vocal est de grande difficulté. Loin des stentors inépuisables, un physique adéquat, chantant juste, Airam Hernandez est d’une humanité et d’une fragilité confondantes, tout en manifestant l’assurance nécessaire dans les duos et trios.
Pour ce retour triomphal sur la scène “capitoline“, on se retrouve avec, pas une, mais deux Norma !! le rôle des rôles a trouvé, chacune avec ses qualités, deux interprètes qui peuvent le garder à leur répertoire, Marina Rebeka et Klara Kolonits. Les moyens vocaux sont de tout premier ordre. Ils sont indispensables pour aborder, sublimes cantilènes, passages de haute virtuosité et moments de forte intensité dramatique. La confondante facilité de l’aigu et du suraigu, elles l’ont. (elles chantent le “Casta diva “ dans la tonalité prévue à l’origine par Bellini, ou alors mes oreilles m’ont trahi). L’agilité, aussi, peut-être plus l’une que l’autre mais on ne vous signalera pas laquelle. Une puissance assez remarquable pour une voix de cette nature, et, cerise sur le gâteau, une façon de rendre compte des tourments du dedans et des vertiges de la profondeur, très prometteuse, avec une ampleur dramatique saisissante qui, au fil des représentations, sera de plus en plus marquante, à n’en pas douter. Le public ne s’y est pas trompé, tout ahuri d’une telle prestation globale.
C’est enfin plus facile quand, miracle d’une distribution très étudiée !! le timbre de Norma s’accorde si bien avec celui d’Adalgisa, et même de Pollione. Quant à Oroveso, foin des Oroveso séniles. La basse Balint Szabo en dressant un portrait convaincant, sans exagération, tel qu’on le souhaite, une belle pâte vocale pour un solide chef des druides tandis que Julien Véronèse se reprend fort bien dans l’acte II, lors de sa représentation de ce même chef. Dans Clotilde, Andreea Soare et François Almuzara dans Flavio assurent au mieux leurs interventions autant vocales que scéniques. Valentin Fruitier a le rôle ingrat du Grand Cerf blanc et du Barde, sur une idée d’Anne Delbée.