Deux œuvres fortes composaient le programme de ce nouveau concert sans public de l’Orchestre national du Capitole, le 6 février dernier. Une fois encore, la diffusion de cet événement sur Internet (chaîne YouTube et page Facebook de l’Orchestre) a permis à tout un chacun, aussi bien en direct qu’ultérieurement en streaming, d’en suivre le déroulement. Une grande chance pour une large audience d’admirer les passionnantes exécutions de l’un des plus intenses concertos pour piano de Mozart et de l’ultime symphonie de Schubert.
Ce soir-là, l’Orchestre national du Capitole est dirigé par le chef britannique, pour la première fois invité à Toulouse, Leo McFall. Actif à la fois au concert et à l’opéra, Leo McFall est actuellement chef principal du Symphonieorchester Vorarlberg. Notamment finaliste du fameux « Nestlé and Salzburg Festival Young Conductors Award » en 2014, ce chef réunit des qualités musicales et expressives tout à fait impressionnantes qu’il convient de souligner. Le soliste invité n’est plus à découvrir, surtout à Toulouse où il s’est déjà souvent produit en récital ou en concert. Il s’agit du grand pianiste David Fray, né à Tarbes en 1981, et qui occupe une place importante dans le panorama de la dynamique génération des jeunes pianistes français.
Ces deux jeunes musiciens se retrouvent d’abord dans le Concerto pour piano et orchestre n° 20 en ré mineur, K.466, de Mozart. Il s’agit là de l’unique concerto composé par Mozart dans cette tonalité et le seul, avec le n° 24, à adopter le mode mineur. Le drame s’insinue dès les premières notes menaçantes du registre grave des cordes, suivies par l’assaut impressionnant du tutti. L’entrée du piano ouvre un dialogue riche et vivant avec l’orchestre. On admire tout d’abord le bel équilibre sonore qui s’établit naturellement entre les deux « protagonistes ». Une imagination fertile anime le jeu du soliste qui s’investit totalement dans le caractère dramatique de l’œuvre, sans pour autant romantiser à l’excès le texte musical. La direction de Leo McFall permet à l’orchestre de soutenir le soliste dans une transparence exemplaire de la structure instrumentale. La polyphonie mozartienne reste en permanence d’une clarté et d’une lisibilité lumineuses. Les multiples solos des vents, habilement sollicités, s’avèrent une fois encore parfaitement exécutés.
Après la Romance, et son apaisement, néanmoins parcouru d’inquiétude, le Rondo final retrouve cet étrange et génial mélange, typiquement mozartien, de drame et de joie, à l’image du « Drama giocoso » en gestation, celui du mythique Don Giovanni. David Fray de plus en plus proche de son clavier semble se fondre avec lui. Remarquons qu’il innove dans le choix des cadences. Celle du premier mouvement combine habilement les inventions de Clara Haskil, Paul Badura-Skoda et finalement Beethoven. Pour l’explosive cadence finale, c’est à Edwin Fischer qu’il fait appel. Avec David Fray, l’imagination se place au service de Mozart !
Après une courte pause, Leo McFall lance son orchestre dans une exécution forte et personnelle de la Symphonie N° 9 en ut majeur de Franz Schubert. Rappelons que cet ultime témoignage symphonique du compositeur n’a jamais été donné de son vivant. Sa première exécution n’eut lieu que onze ans après sa mort, à l’initiative de Robert Schumann qui la fit exécuter le 21 mars 1839 (dans une version écourtée) par l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig sous la direction de Felix Mendelssohn. Surnommée « La Grande », en raison de ses vastes proportions, cette partition est abordée ici dans un tempo allant et plein d’ardeur. Rien de massif ni d’insistant tout au long des quatre mouvements. Comme dans Mozart, le chef privilégie la clarté de la polyphonie. Chaque chant laisse se déployer ses contre-chants dans une limpidité exemplaire des sonorités.
La transition de l‘introduction Andante vers l’Allegro ma non troppo s’effectue dans une sorte de continuité naturelle. Le cheminement léger de l’Andante con moto, évoquant irrésistiblement le cycle du Voyage d’hiver, offre au hautbois solo (excellent Chi Yuen Cheng !) l’une des mélodies les plus tendres qui soit. Ce mouvement culmine dans le paroxysme expressif d’un silence vertigineux et assourdissant qui serre la gorge et donne le frisson. Le chef et son orchestre parviennent à suspendre le temps. LE grand moment de tout ce concert ! Il s’agit là d’un véritable tournant au-delà duquel l’atmosphère peut enfin se détendre. L’esprit de la danse anime tout le Scherzo, énergique en diable. Quant au final Allegro vivace, il libère enfin toute l’énergie accumulée. Le choix des tempi, des phrasés, des échanges entre cordes et vents, tout concourt à soutenir l’attention. L’élégance gestuelle du chef se traduit dans la profonde musicalité de l’interprétation.
Souhaitons revoir un jour à Toulouse Leo McFall à la tête de notre bel orchestre qui brille de tous ses feux sous sa direction !
Rappelons enfin qu’il est toujours temps de voir ou revoir ce concert sur la chaîne YouTube de l’Orchestre.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse