Chaplin disait qu’il était plus difficile de faire rire que de faire pleurer (du moins, il l’aurait dit, car, 25 ans plus tard, je ne trouve trace nulle part de sa citation, sur laquelle j’avais disserté deux copies doubles). Il avait, plus précisément, la délicatesse de faire rire à partir d’une trame dramatique. Albert Dupontel se signale ici par cette même politesse de l’esprit.
Dans 9 mois ferme, Ariane Felder (Sandrine Kiberlain) est une juge d’instruction qui ne croit qu’en l’intelligence du célibat, et a fait sienne cet adage : la famille est une tragédie écrite par les parents et jouée par les enfants. Son implication au travail lui promet un brillant avenir de conseillère à la cour d’appel, lorsqu’elle se découvre enceinte d’un monstre, Bob Nolan (Albert Dupontel). Rien de risible dans ce postulat de départ, pas plus que dans la scène où l’héroïne entreprend de se juger elle-même, mais le regard de Dupontel façonne ce fond dramatique en comédie. Rire des pires faits divers nécessite un talent rare, comme celui de Bertrand Blier : une mère jetant son enfant au feu accouche ainsi d’une scène irrésistiblement drôle, sans qu’on n’éprouve jamais la moindre honte ni retenue. Le burlesque qui caractérise le travail de Dupontel traverse donc 9 mois ferme, par petites touches parfois – le fait que le criminel soit « globophage » -, et plus pleinement dans la scène où Nolan émet de multiples hypothèses pour expliquer le crime dont il est accusé.
Même les gags les plus éculés (se cogner dans un poteau, quitte à lui substituer plus tard un mur) semblent réinventés. Mention spéciale aux flashs des différentes chaînes de télé et à leur surabondance d’informations désopilantes avec, en parfaits caméos, Jean Dujardin et Terry Gilliam. Nul besoin, d’ailleurs, de reconnaître le Monty Python pour apprécier sa courte apparition en Charles Meatson, le famous man-eater. Les autres caméos, dont on vous laisse la surprise, jouent avec la même espièglerie sur des références aux personnalités de leurs interprètes.
L’interprétation est à l’avenant. En plus de Philippe Duquesne, Bouli Lanners, Christian Hecq, Gilles Gaston-Dreyfus et Michel Fau (déjà présents sur les précédents films), ainsi que des fidèles du tout début, Philippe Uchan et Nicolas Marié (qui, en maître Trolos – dictionnaire de grec requis – offre une mémorable plaidoirie), la troupe accueille et accompagne les premiers pas de Sandrine Kiberlain, qui excelle en femme aux convictions bien ancrées, mais dont l’humanité se révèlera grâce au criminel. Les auteurs aiment-ils toujours leurs personnages, et ceux qui les interprètent ? Avec Dupontel, le doute n’est pas permis.
Crédits des photos du film (c) Jérôme Prébois – ADCB films
C’est que, comme chez Chaplin encore, le film ne se départ jamais de la tendresse de son regard. La fraîcheur ingénue de Sandrine Kiberlain adoucit les horreurs qu’elle adresse à Nolan (quand ce n’est pas à son propre ventre). Le phrasé des comédiens, servant idéalement l’écriture précise des dialogues, participe évidemment de cette symbiose parfaite entre tendresse et humour.
Mais minimiser le rôle de la mise en scène serait commettre une erreur. Le monde de Dupontel ne se résume pas à la rencontre de personnages marginaux : par le recours aux plans décadrés, aux basculements de l’image, aux incrustations en médaillon, et grâce à un sens bluffant du découpage et du rythme, chaque séquence est conçue avec le plus grand soin, et évite avec virtuosité l’écueil d’une froideur imperméable aux émotions. L’univers du cinéaste, toujours reconnaissable, se renouvelle ainsi dans une tendresse plus assumée : sans que jamais la comédie ne fléchisse, on assiste au rapprochement improbable entre juge et criminel. Les scènes les plus touchantes se passent aisément de dialogues, l’image et la musique suffisant.
Une écriture soignée, une mise en scène élégante et inventive, un récit aussi drôlement déjanté que poétique : Dupontel touche ici à la perfection de son art.
Lire aussi notre entretien avec Albert Dupontel à propos de 9 mois ferme