INTERVIEW- Paula Vézac publie Terre brûlée aux Editions du Rouergue. Le portrait d’une femme complexe, celui d’une mère aux contours flous.
« La nouvelle est tombée un vendredi. » Quelle nouvelle ? Celle de la mort de la mère. Un incendie a ravagé l’appartement, à l’intérieur, une femme de 61 ans. Lorsque la narratrice l’apprend, c’est la stupeur. Bien-sûr, elle ne pouvait pas s’attendre à un départ aussi soudain – et brutal. Alors, il faut agir, réagir, s’occuper de ce qui reste. Un passé sombre, parfois douloureux, parcellaire. La narratrice vide l’appartement de la mère. Elle emporte avec elle quelques babioles, des souvenirs, des photos. Puis vient le temps du deuil, du souvenir.
D’abord, il y a l’enfance, la jeunesse de la défunte. Une vie simple et modeste dans les années 50. Puis la rencontre avec un garçon. Il y a aussi les problèmes, la toxicomanie, et les excès en tout genre. Enfin, arrive la naissance de la fille. Une famille qui essaie de tisser des liens, de construire des souvenirs, mais ce n’est pas facile. Car la mère semble toujours prête à vaciller de l’ombre à la lumière, de la joie à la tristesse.
Terre Brûlée se lit comme un roman-documentaire. C’est à la fois le récit d’une femme complexe et torturée, et la retranscription de toute une époque. Les photographies qui ponctuent le texte augmentent cet effet de réalisme. L’histoire se reconstruit au fur et à mesure sous nos yeux. On y découvre la force de vivre l’instant présent, l’importance d’interroger le passé et de parfois pardonner de ce qui parait incompréhensible. L’écriture de Paula Vézac est douce-amère et brosse un portrait très touchant d’une femme qui ne sombre pas dans l’oubli.
Paula Vézac nous parle Terre Brûlée :
Suite à la mort de sa mère, votre héroïne replonge dans un passé difficile. Comment avez-vous procédé pour composer un récit « par petits bouts » ?
Depuis plusieurs années, j’avais posé sur le papier de nombreux souvenirs d’enfance, fragmentaires, disparates et discontinus, sans jamais toutefois réussir à les organiser en un ensemble cohérent. La mort de ma mère m’a plongée dans une douleur extrême et c’est l’écriture au jour le jour qui m’a permis de rester debout – sans qu’étrangement je ne garde le moindre souvenir de ces moments d’écriture, tellement j’étais dans un état second. En avançant dans le travail de deuil, je me suis rendue compte que j’étais passée à côté de ma mère, que je n’avais pas voulu, pas cherché à la connaître vraiment, et c’est alors que j’ai repris mes multiples fragments d’écrits, qui ont pu trouver leur place afin de mener une enquête sur ma mère et son chemin de vie. Je suis alors entrée dans un deuxième temps, qui est véritablement devenu celui de l’écriture, de la mise à distance et de la fictionnalisation : ce deuxième temps, en effet, a été celui au cours duquel je me suis appliquée à faire un travail d’écriture littéraire et non plus seulement de partage de souvenirs personnels, ce qui a impliqué parfois de réorganiser des éléments, ou d’inventer des scènes dans un souci de cohérence narrative.
Dans la partie enquête, vous insérez de nombreuses photographies. Est-ce une manière de se ressaisir du réel, des faits et donc des souvenirs ?
Sans doute, mais peut-être aussi est-ce une manière de donner à voir et donc de dépasser les limites de l’écrit. Je suis très sensible aux photographies, non pas seulement les photographies d’art mais aussi les photographies de famille et celles dites amateur, qui disent beaucoup dès lors qu’on prend le temps de se pencher dessus. J’ai fait avec mon éditrice un important travail de sélection des photographies et toutes celles qui sont reproduites dans le roman le sont pour faire avancer le récit : aucune n’est gratuite. J’aimerais aussi que mon approche de ces photographies invite les lecteurs à regarder leurs propres photographies de famille, à la manière dont les albums sont agencés, ce qu’ils disent, ce qu’ils passent sous silence. J’ai compris de nombreuses choses, j’ai mis au jour de nombreux non-dits, non pas en interrogeant des personnes autour de moi – d’autant que du côté de ma mère il n’y a plus personne de vivant – mais en regardant ces images, qui se révèlent extrêmement bavardes.
Vous décrivez une femme fragile, en proie à des addictions, souvent démissionnaire et absente pour sa fille. Pourtant, au fur et à mesure, on découvre une femme bien plus consciente et sensible face monde qui l’entoure. Vouliez-vous montrer que les apparences – une fois encore – sont souvent trompeuses, ou du moins plus floues que ce qu’elles laissent paraître ?
C’est bien sûr une interprétation possible. Une autre, qui me tient à cœur, est de montrer qu’il n’y a pas de vérité : les personnes comme les faits et les souvenirs sont non seulement mouvants, instables, flous, mais des visions contraires des événements comme des personnes sont toutes pareillement justes. La femme décrite dans le roman est tout à la fois – c’est-à-dire en même temps – intelligente et délirante, empathique et égoïste. Et je suis convaincue que si ma mère avait lu certaines des scènes que je narre, qui de mon point de vue sont justes et quasiment cliniques, elle les aurait jugées « fausses », inventées, de son point de vue à elle, qui aurait été tout aussi valable que le mien.
Au terme de la lecture, on peut dire que votre histoire est une histoire d’amour, de pardon, d’acceptation. Etes-vous d’accord ?
Je suis heureuse que vous la résumiez ainsi : ce n’est en effet pas seulement un roman sur le deuil, mais sur deux chemins de vie, celui de ma mère, et le mien !
Paula Vézac, Terre Brûlée, Rivages, 208 p.
Photo : Paula Vézac © j.balague/rouergue