Quand la foisonnante forêt des spectacles cache un peu les arbres vifs des créations
Devant un très nombreux public, si nombreux qu’il a fallu ouvrit le forum et le studio, tant les futurs spectateurs étaient impatients et avides de découvrir la nouvelle saison du TNT. Un pique-nique les a d’ailleurs récompensés à la suite de cette très longue présentation forte riche et détaillée.
Avec ses 10 000 abonnés le TNT est l’axe fort du théâtre à Toulouse et une brillante présentation des 32 spectacles proposés par ses deux directeurs, Agathe Mélinand et Laurent Pelly a du rassuré les futurs abonnés. Mais ce déploiement de spectacles divers articulés autour de trois, thématiques, comme aiment à le construire ses directeurs, ne peut masquer derrière la forêt la crise globale qui frappe tous les CDN de France et d’ailleurs : le nombre raréfié de véritables créations. Deux reprises bienvenues d’ailleurs (Sindbad le Marin et Tennessee Williams, Short stories) accompagnent les deux seules nouveautés issues du TNT : Mangeront-ils de Victor Hugo mis en scène par Laurent Pelly dans le droit fil de Mille francs de récompense du même Hugo, et Erik Satie, mémoires d’un amnésique, mis en scène par Agathe Mélinand, sorte de petit opéra-comique autour de l’illuminé compositeur d’Arcueil. C’est sans doute le cœur brisé que nos deux directeurs, fourmillant de projets, n’ont pu réaliser que ces deux-là.
Mais la dureté des temps s’abat sur l’ensemble du théâtre en France, et le TNT compense cette traversée d’un relatif désert par l’accueil de nombreux spectacles de qualité. Ces spectacles ne sont pour la plupart pas encore montés et le seront lors du Festival d’Avignon.
Les trois thématiques retenues pour la saison 2012-2013 et qui permettent de structurer un choix sont les suivantes
Hommage à Christophe Honoré :
Les Voyageurs
Les Insensés
On va trouver sous ces rubriques toute une série de spectacles de théâtre certes mais aussi de danse et aussi deux ciné-concerts.
Il ne s’agit pas d’énumérer la liste de spectacles qu’un programme complet, mais à la couverture un peu pâteuse dans sa typographie, décrit bien. Il faut juste faire parler sa subjectivité et mettre en avant ce qui nous semble incontournable, et n’engage que nous.
La barque du soir de Tarjei Vesaas mis en scène par le dernier des très grands hommes du théâtre Claude Régy qui s’est pris d’affection pour cet auteur norvégien qui disait À qui parlons-nous lorsque nous nous taisons ? Et Claude Régy après l’extraordinaire Brume de Dieu d’après les Oiseaux du même Vesaas s’affronte à l’indicible, se glisse dans l’ineffable : Je suis à la recherche d’un terrain inconnu par le rien. (Claude Régy).
Le retour de Jacques Nichet qui pendant dix ans fut l’âme du lieu se fera par une pièce de Samuel Beckett que celui-ci très vétilleux ne voulut monter que sous forme radiophonique : Tous ceux qui tombent. Nichet plongera la salle dans le noir et les voix d’acteurs comme Michael Lonsdale… dérouleront le néant habité de Beckett
La troupe de Wuppertal, toujours orpheline de Pina Bausch, donnera Masurca Fogo. Son spectacle conçu à Lisbonne en 1998 entre fado et saudade, culture populaire et couples déchirés, les jeux de groupe, et la mer omniprésente.
En co-production avec le Centre d’Innovation et de Recherche Circassien d’Auch (CIRCa) , Calabas,la danse macabre de Bartabas créée en 2011, sera enfin visible sur une double piste qui mettra les spectateurs au milieu de ce rituel mexicain. Au bois lacté, pièce radiophonique à l’origine du flamboyant jusqu’à la brûlure poète gallois, Dylan Thomas sera mis en scène par Stuart Seide, avec de jeunes acteurs. L’immense beauté poétique de ce texte sera accessible en traduction française, avec par exemple cet extrait qui en rend compte : « Le temps passe. Écoute. Le temps passe. Rapproche-toi. Tu es le seul à pouvoir entendre le sommeil des maisons, dans les rues, dans la nuit lente profonde salée et noire de silence, la nuit en bandelettes. Toi seul peux voir, dans les chambres aveuglées de jalousies, les combinaisons culottes et les jupons sur les chaises, les brocs et les cuvettes, les verres à dentiers, le Nième Commandant au mur et les portraits jaunissants des morts attendant le petit oiseau qui va sortir. Toi seul peux entendre et voir, derrière les yeux des dormeurs, les mouvements et les pays et les labyrinthes et les couleurs et les constellations et les arcs-en-ciel et les airs de chansons et les désirs et les envolées et les chutes et les désespoirs et les mers immenses de leurs songes… ».
Citons la très attendue création en espagnol surtitré de Daniel Veronese autour de la Mouette de Tchekhov, intitulée Les Enfants se sont endormis. Cela promet d’être un grand moment de théâtre.
La lecture par Jacques Gamblin d’un roman épistolaire, La Nuit sera calme, de merveilleux et tragique mystificateur Romain Gary sera un bel hommage à ce suicidé de la société.
Luc Bondy, qui va animer légitimement et magnifiquement le théâtre de l’Odéon, s’attaquera à un désormais grand classique, Le Retour d’Harold Pinter. La comédie française sera en représentation avec La Maladie de la famille M. de Fausto Paravidino.
Il est temps de cesser de mettre en avant quelques spectacles parmi d’autres et de signaler deux ciné-concerts, Le Bonheur de Medvedkine cher paraît-il à Natacha Laurent, et La Lumière de l’Asie, film indien de 1925 avec des musiciens du Rajasthan.
Le cycle Christophe Honoré tournera autour du nouveau roman et ses figures tutélaires, et l’une de ses pièces La Faculté.
Pirandello reviendra enfin dans les murs du TNT avec Six personnages en quête d’auteur par le théâtre de la Colline.
Sébastien Bournac qui nous avait éblouis avec Jardin d’incendie d’Al Berto sera présent avec un texte de Daniel Keene.
La danse, en collaboration avec le CDC, ne se limitera pas avec Pina Bausch, mais H3 de Bruno Beltrão tout en mouvements inversés et Passionne in due d’Emio Greco.
Le Pain dur, mais lyrique, de Paul Claudel, si rarement mis en scène en province, sera proposé. Et Molière sera parmi nous avec L’École des femmes et encore Beckett avec l’inépuisable Oh les beaux jours ! mais avec l’extraordinaire Yann Colette dans le rôle de Winnie !
Ce rapide tour d’horizon des propositions nombreuses de l’équipe du TNT, auxquelles nous aurions aimé quelques concerts de plus, mais le TNT nous appris à être insatiables, et les budgets ne sont pas extensibles à l’infini et le cahier des charges est contraignant, donc cette saison 2012-2013 s’annonce riche et diverse, comme il convient à un grand Centre Dramatique National, comme le TNT.
Gil Pressnitzer