Chronique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 26 novembre 2025. Mise en scène : Agnès Jaoui. Direction : Riccardo Bisatti.
Le Don Juan de Da Ponte et Mozart accompli à Toulouse
Il est des productions qui semblent frôler la perfection. A Toulouse ce Don Juan est une merveille qui fera date. Agnès Jaoui ne cache pas son admiration et sa fidélité au chef d’œuvre de Mozart sur le génial livret de l’Abbé Da Ponte.
Le chef Italien de 23ans Riccardo Bisatti, remplaçant Tarmo Peltokoski souffrant, dirige cette partition et la magnifie avec un talent incroyable. Il met en valeur toutes les facettes, tout en faisant avancer le drame inexorablement. La distribution est homogène et les chanteurs-acteurs se révèlent très émouvants. Dès l’ouverture l’auditeur est pris par la splendeur et la richesse orchestrale. L’orchestre du Capitole est merveilleux de virtuosité, de phrasés élégants et de nuances subtiles.
La direction de Bisatti souligne les détails et avance dramatiquement avec majesté, sans abandonner l’humour. Ce mélange si caractéristique de drama-giocoso est parfaitement rendu. A l’ouverture du rideau la beauté des décors d’Éric Ruf est à couper le souffle. Ils se révèleront d’une grande efficacité et surtout d’une mobilité admirable qui évite toute attente. Les maisons et palais bougent, le rideau tombe, les lustres descendent doucement, les lumières changent en fin d’air pour permettre à la scène suivante de se dérouler dans le lieu adéquat. Les lumières de Bertrand Couderc sont incroyablement poétiques et subtilement réglées. L’impression de nuit est parfaitement rendue tout en éclairant visages et mains des chanteurs. C’est très, très beau. Les quelques moments de jour permettent de contempler des costumes d’une rare finesse. Car Pierre-Jean Laroque a réalisé des costumes seyants et extrêmement élégants. La facilité de déplacement des chanteurs dans de si beaux atours renforce la cohérence de leur personnage. C’est un travail d’équipe admirable qui permet de grandir chacun des personnages et aucun n’est sacrifié.

Il n’y a ni grande originalité, ni vision révolutionnaire chez Agnès Jaoui mais un goût exquis, un hommage discret au film de Losay comme au théâtre classique de la plus belle qualité. Nous sommes bien dans la pièce de Mozart et Da Ponte reprise au XVIIIe du mythe antique et qui demeure intemporel. La dramaturgie est limpide et fidèle. La direction d’acteurs d’Agnès Jaoui est splendide. Chaque personnage est très bien caractérisé, les couples vraiment proches. Il y a beaucoup de déplacements, des mains qui se touchent, des corps pleins de désir, des pudeurs qui se rapprochent, se fuient. C’est un théâtre vivant, naturel et sensuel. Les mains baladeuses de Don Juan sont parfois brutales mais toujours sensuelles, les mains d’Anna et Don Ottavio plus pudiques mais pressantes. Anna a des gestes vengeurs permanents. Ottavio est un amant très engagé. Le couple Zerlina-Masetto est également très naturel dans des revirements pourtant assez radicaux. Don Juan est tour à tour violent, doux, joyeux, moqueur mais toujours charmant. Le personnage a la grande richesse attendue. Leporello assume la partie Giocoso avec bonhomie et esprit. Donna Elvira arrive en chaise à porteurs. C’est une femme de haut rang qui est dominée par un amour sensuel pour Don Juan qui la ronge. Chaque fois qu’il le peut Don Juan la touche, la prend dans ses bras… on la voit véritablement fondre. Ce jeu très physique est très juste.
Coté chant c’est la même fête de chaque instant. Mikhael Timoshenko est un Don Juan à la voix claire pouvant s’ombrer et se durcir. Le moelleux du timbre permet à la séduction d’opérer. Le tragique de son destin est assumé avec grandeur avec une voix pleine magnifique. Leporello est également un baryton.
Kamil Hsaïn Lachiri fait une prise de rôle brillante. Son Leporello entretient des rapports intéressants avec son maitre et également avec Elvira, Zerlina et Masetto. La belle voix peut se contrefaire avec beaucoup d’efficacité. Son personnage est attachant. La Donna Elvira d’Alix Le Saux est passionnante vocalement et scéniquement. La complexité du personnage est délicieusement rendue, la voix est longue bien timbrée et parfaitement conduite. C’est vraiment une très belle Elvira.

Marianne Croux en Anna est royale de timbre et de virtuosité. Ce chant splendide sert un personnage généreux et passionné. Elle est une très belle Anna. Don Ottavio par Valentin Thill a également une parfaite adéquation entre la voix et le rôle. Il est un Ottavio passionné et bien chantant. L’art du chant, là également, sert la noblesse du personnage. Le couple avec Anna est très crédible. Ils sont nobles et cela est évident.
La Zerlina de de Francesca Pusceddu est gracieuse et coquine. Voix fruitée et acidulée qui magnifie ce personnage piquant. Le Masetto de Timothée Varon, également baryton, a une voix sonore et ronde. Le personnage gagne en consistance.
Le commandeur d’Adrien Mathonat en basse profonde au timbre prenant impressionne comme attendu. Un grand moment est le trio de la statue au cimetière ou les trois voix bien différentes sont toutes très belles. Et le rayon de lune qui diffuse à travers une fenêtre est un très bel effet qui fait de ce moment un climax impressionnant musicalement et visuellement. Lors de la fête la présence des musiciens sur scène est une belle idée et la spatialisation du son est assez spectaculaire. Le retour de Don Juan après le final primesautier maintenu mais raccourci est un clin d’œil subtil à l’immortalité du personnage du séducteur. Don Juan ne se démode pas et véritablement irrésistible existera toujours… pour notre plus grand bonheur.
On pourra considérer cette splendide production proche de la perfection et entièrement réalisée par les forces capitolines comme la véritable ouverture de la saison. La Thaïs ayant ouvert officiellement la saison du Capitole était une production ancienne et invitée. Le public ne s’y est pas trompé qui avait pris d’assaut les réservations pour ce Don Juan très attendu. Bien avant la première il n’y avait plus de places à acheter. C’est donc un théâtre du Capitole plein comme un œuf qui a fait une immense ovation et a obtenu de nombreux saluts à cette production magique.
Retrouver le vrai Don Juan de Da Ponte et Mozart devient bien rare et mérite notre gratitude quand, même Aix en Provence l’été 2025, avait proposé une production indigne qui était passée à côté du chef d’œuvre. Rajoutons qu’il y avait deux distributions exemplaires sur cette production. Nous avons vu la deuxième. Christophe Ghristi en immense directeur a su proposer un Don Juan parfait qui restera dans les mémoires.
Photos : Mirco Maglioca
Hubert Stoecklin pour Clasicagenda.fr
