Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Avec les grands livres d’Emmanuel Godo
L’un des livres les plus passionnants et exaltants de cette rentrée littéraire n’est pas un roman, ou un récit autobiographique maquillé en roman, mais un essai qui a aussi valeur de manifeste. Avec les grands livres d’Emmanuel Godo nous invite à considérer les grands textes non comme de vieilles choses inaccessibles et dépassées, ainsi que nous le souffle notre époque avec « sa vanité, son infatuation, sa condescendance voire son mépris pour tout ce qui n’est pas elle. » Non, les chefs-d’œuvre défient le temps, les temps, et plus particulièrement le présent, en nous offrant « une enclave aux avant-postes » dans « une autre temporalité ». Ils ne s’adressent pas à nous dans une langue morte, ils réclament simplement de l’attention, du silence, de la solitude, une position de retrait face au divertissement, à la consommation, au spectacle.

Emmanuel Godo © Hannah Assouline
La princesse de Clèves, Emma Bovary, Don Quichotte, Julien Sorel ou Anna Karénine peuvent alors délivrer leurs secrets, nous donner « le sentiment de sortir d’un exil et de retrouver une sorte de patrie qu’on cherche en vain du côté de l’actuel ». La vraie littérature constitue « une maison de famille » qui dépasse les liens du sang et les papiers d’identité en tissant « un fil d’or qui passe, de siècle en siècle, d’esprit en esprit, comme une fraternité et une espérance unissant les êtres dans une communauté sensible – cette fameuse communauté que les hommes cherchent en vain du côté du politique. »
Chemins buissonniers
Poète, écrivain, essayiste, auteur de nombreux ouvrages, notamment sur Houellebecq, Hugo, Huysmans, Claudel ou Bloy, Emmanuel Godo évite l’écueil de la lamentation et du ressassement, ne cède pas à la facilité du pamphlet de circonstance. Bien sûr, notre époque n’est guère reluisante. Elle « expurge, récrit ce qui la dérange ». La bêtise, le grégarisme, la « technolâtrie » et toutes les armes de distraction massive ont fait leur œuvre. A l’ère de l’uniformisation numérique, il faut observer ces visages ornés de casques et d’oreillettes, ces êtres penchés sur leurs écrans et avançant tels des zombies ou des esclaves pour avoir une idée de la nouvelle condition humaine délivrée d’un héritage encombrant : « la maîtrise de la langue, la fréquentation des classiques, l’acquisition d’une vraie culture générale ». Bossuet ou Chateaubriand : combien de followers ?
« Notre présent rêve d’une littérature entièrement soluble dans l’actuel, le sociétal, sorte de doublure passive et docile du discours médiatique. D’un art qui caresse l’époque dans le sens de sa doxa. Sans un épi, surtout, qui dépasse. Une littérature de têtes de gondole », souligne Emmanuel Godo. Ainsi, n’est-on pas surpris d’entendre à propos de la promotion d’un best-seller de saison que Milady fut la victime d’un « féminicide ». « Tout ce qui privilégie la distance ou le détour véritablement critique, le temps long, la force intérieure, la capacité à se construire des refuges, se trouve combattu, marginalisé, taxé d’élitisme ou de ringardisme », poursuit l’auteur. On connaît les motifs d’inculpation et les accusations menaçant ceux qui refusent de « faire de la médiocrité une norme, du consentement au moindre ou de la démission intérieure un cap ». On les qualifiera de nostalgiques, d’antimodernes, de réactionnaires ou de pire encore. Peu importe car l’« actualité des classiques » demeure intacte. « Les œuvres du passé ne sont pas passées et encore moins mortes », elles nous élèvent, dans tous les sens du terme tandis que le vrai moderne n’a crainte d’être anachronique et à rebours des « gloires trop bruyantes » de son temps. La littérature survit aujourd’hui à travers des « chemins buissonniers », mais elle survit.
Feu sacré
D’ailleurs, des contemporains nous offrent « le même bonheur de lecture » qu’un classique en nous tendant au milieu de la profusion de produits standardisés « une boussole éternelle » et Godo n’oublie pas de les saluer. Avec les grands livres est un ouvrage vibrant qui célèbre la langue, la beauté, le sacré, la joie, le partage, l’émerveillement, le juste, le vrai, le rêve, la poésie, la liberté, le goût des horizons lointains jusqu’au cœur des ténèbres. Le passage sur la littérature et la lecture dans l’univers concentrationnaire fait écho à travers Charlotte Delbo, Primo Levi ou Varlam Chalamov au récent essai de Fabrice Gaignault, Un livre, autre célébration des textes perpétuant le « désir de la vie de l’esprit ».
Les personnages des grandes œuvres ne nous quittent jamais : « dans chacun de leurs gestes, dans chacune de leurs paroles, dans chacune de leurs actions, il y a l’écho de notre vie » et de « la vie de tous les disparus de la terre ». De cette communion, on retient un feu « prêt à illuminer les âmes ardentes de toutes les époques à venir ».
Avec les grands livres • éditions de l’Observatoire


