La vie d’Irène Némirovsky fut un roman tragique, de la Russie tsariste au Paris des Années folles, marquée par le triomphe littéraire avant la déportation et la mort à Auschwitz. Une biographie de Dominique Missika, aussi précise que percutante, raconte ce destin inouï, dont la postérité a un lien très fort avec Toulouse.

Irène Némirovsky © Roger Viollet
Il faut l’avouer : avant la parution de « Suite française », en 2004, auréolé du prix Renaudot et d’un succès international (3 millions d’exemplaires vendus, dont 600000 en France), peu de gens connaissaient Irène Némirovsky (1903-1942). Pourtant, une de ses deux filles, Denise Epstein, retraitée vivant à Toulouse, faisait ton son possible pour que revive la mémoire d’une romancière injustement oubliée. La vieille dame, fidèle spectatrice des débats organisés par la librairie Ombres Blanches, travaillait dans l’ombre à l’œuvre de sa vie : la retranscription d’un manuscrit conservé précieusement dans une valise usée. Mission difficile tant l’écriture de sa mère était minuscule et le papier de mauvaise qualité.
Guerre et déportation
Réfugiée pendant la guerre avec son mari et ses filles à Issy-L’Evêque, village du Morvan, Irène Némirovsky avait jeté ses dernières forces dans son ultime roman, « Suite française », description acerbe de la Débâcle, gorgée de personnages souvent détestables. Juive et apatride (elle n’était pas parvenue à obtenir la nationalité française malgré tous ses efforts), elle sentait sa fin prochaine. Arrêtée en juillet 1942 par des gendarmes français, elle avait été envoyée à Auschwitz et n’en revint jamais. Son mari Michel Epstein, son bel amour et principal soutien, devait la suivre l’année suivante, épuisé et désespéré. Denise et sa jeune sœur Elisabeth échapperont à la rafle, grâce à un officier allemand et à l’aide d’une jeune Française, devenue leur tutrice. Les deux filles d’Irène Némirovsky passeront le reste de la guerre, sous un nom d’emprunt, dans la région bordelaise. Leur grand-mère maternelle, qui a survécu par miracle aux persécutions antisémites sans rien écorner de son fastueux train de vie, ne leur apportera aucun secours à la Libération.
Dans « Irène Némirovsky. Une vie inachevée », nouvelle biographie consacrée à la romancière d’origine russe, l’historienne Dominique Missika nous fait violemment ressentir cette chape de plomb qui avait recouvert la France durant l’Occupation. On sait, on sent, que l’inéluctable va se produire. On voit, pourtant, combien Irène Némirovsky se bat, malgré « l’angoisse insupportable, la sensation de cauchemar » qui l’écrase, pour continuer à écrire (c’est toute sa vie) et trouver ainsi des moyens de subsistance, pour elle et sa famille.
Jeunesse dorée, succès littéraire
C’est avec la même précision, en s’appuyant sur de précieux documents (presse, journaux intimes, lettres…) que Dominique Missika raconte l’enfance dorée, en Russie, de la future romancière (« élevée comme une petite fille modèle, façon comtesse de Ségur ») puis entre le Nice des palaces et le Biarritz des gens chics ; adorée d’un père banquier, délaissée par une mère détestable, « d’une malveillance innée ». Période durant laquelle la petite Irina, future Irène, « a précocement développé un sens aigu de l’observation, écrit Dominique Missika. Elle perçoit le moindre tressaillement, les mots murmurés, les gestes furtifs. Elle a compris le manège, le double jeu des adultes. Les apparences sont trompeuses, elle en est très tôt convaincue. »
On accompagne ensuite Irène Némirovsky lors de sa jeunesse festive dans le Paris des années 1920, marquée par l’envie déterminée de forcer les portes d’un monde des lettres régenté par les hommes. Elle se mariera avec Michel Epstein en 1926, choisissant une sorte de « double ». « Tous deux sont juifs, enfants de banquiers, exilés, aimant la vie qu’ils brûlent par les deux bouts, raconte Dominique Missika. Sans être anticonformistes, ils ne sont pas corsetés par les convenances. »
Clichés antisémites ?
Le tournant de la vie de romancière d’Irène Némirovsky se situe en 1929 avec la parution de « David Golder » et la médiatisation de son auteure, qui répond volontiers aux nombreuses demandes d’interviewes. En même temps que le succès se développe une polémique qui ne cessera jamais. Le roman fait le portrait d’un « vieil homme mal aimé, joueur désabusé et cynique au bord de la faillite » et serait « truffé de clichés antisémites ». Irène Némirovsky répond qu’elle ne décrit pas tous les juifs ainsi mais seulement certains de ceux dont elle a pu croiser le chemin. De la même manière, elle n’aura aucun scrupule à publier, au début des années 1940, dans des revues collaborationnistes comme « Gringoire », ouvertement xénophobe et antisémite, arguant qu’elle avait de grandes difficultés à nourrir sa famille alors que pleuvaient les mesures antijuives du gouvernement de Vichy.
Sur cet aspect des choses aussi, Dominique Missika se nourrit de toutes les sources disponibles, montrant à quel point Irène Némirovsky, grande bourgeoise déclassée à cause de la guerre, immigrée fêtée puis rejeté par son pays d’adoption, était pétrie de contradictions. Et qu’une chose essentielle, primordiale, vitale comptait pour elle : écrire, toujours écrire, écrire encore malgré l’amoncellement des difficultés et des drames.
« Irène Némirovsky. Une vie inachevée », de Dominique Missika (Denoël, 288 pages, 21 euros). A noter également la parution de « Femmes de Paris, femmes de lettres », qui réunit 7 textes inédits d’Irène Némirovsky consacrés à Madame de Sévigné, George Sand, Pearl Buck… (Denoël, 144 pages, 15 euros).
« Irène Némirovsky. Une vie inachevée » • Denoël

