Critique. Concert. 45ème Festival de La Roque d’Anthéron. Parc du château Florans, le 25 juillet 2025. Frédéric Chopin (1810-1849) : Variations sur « laci darem la mano » de Don Giovanni de Mozart ; Concerto pour piano et orchestre n°1 et n°2 ; Henri Duparc (1848-1933) : Aux étoiles ; Sophia Liu et Dang Thai Son, piano ; Orchestre national de Cannes ; Direction : Benjamin Levy.
Stupéfiant miroir maître/élève, Sophia Liu /Dang Thai Son
Les soirées thématiques avec un compositeur sont assez extraordinaires lorsqu’il s’agit de déguster les deux concerti de Chopin. A La Roque d’Anthéron avec la nuit qui tombe cette musique prend un caractère magique. Ce soir un face à face entre une élève et son maître permet de prendre conscience du temps qui passe tout comme de l’intemporalité de la musique. Les interprètes passent et nous avons la chance de garder la mémoire de leurs interprétations depuis un siècle avec des enregistrements fidèles. Dans une même soirée voir deux générations se succéder sur scène subjugue.
La toute jeune Sophia Liu née en 2008, toute fragile et juste sortie de l’enfance nous a enthousiasmés par un jeu pénétrant. Bien sur la virtuosité épate, mais c’est une forme d’autorité musicale qui émane de son jeux qui sidère. Les Variations sur « laci darem la mano » de Mozart sont la première œuvre de Chopin pour orchestre. Nous étions nombreux à ne pas la connaître. C’est étonnant car l’œuvre est très intéressante, la virtuosité fantastique s’y associe à une fine musicalité. La jeune Sophia Liu toute de grâce et de délicatesse ne semble en faire qu’une bouchée. Ce jeu à l’apparente facilité, les doigts si agiles et délicats, les phrasés si souples, les nuances admirables de variété, tout le jeu de la jeune femme séduit. C’est du très beau piano et de la délicate musique. Dans le premier concerto nous pouvons davantage la comparer aux plus grands et il faut reconnaître que le résultat est éblouissant. La beauté du son, la finesse du jeu perlé, toute la virtuosité est assumée. De plus la musicienne est capable de phrasés originaux et de nuances exquises. Une sorte d’autorité du geste impressionne chez cette artiste de 17 ans. Le succès est phénoménal et le bis nous fait rendre les armes (une pièce vertigineuse, Tornament galop de Louis Moreau Gottschalk).
Pour la deuxième partie de programme le chef Benjamin Levy dit quelques mots en hommage au lieu, au festival en plein air et à la nuit ; il dédie la partition de Duparc au Festival de La Roque d’Anthéron et à sa magie nocturne. L’interprétation de cette courte pièce est particulièrement réussie en un flot de magie continu avec des nuances exquises et des couleurs variées. Les instrumentistes de l’orchestre de Cannes sont superbes, tout particulièrement les cors et les bois. Une mention particulière aux solistes à cordes, trois violons, un alto et un violoncelle, dont le jeu délicat est absolument suspendu comme hors du temps et de l’espace. La direction de Benjamin Levy est très musicale et permet aux instrumentistes de respirer librement. Dans les concerti il soigne les entrées de chaque concerto. C’est impeccable et également très élégant. Il se révèlera très attentif au pianiste qu’il couve des yeux et suit dans les nuances proposées. C’est vraiment très agréable cette osmose entre les musiciens, le chef et les solistes.
Dang Tai Son dans le deuxième concerto est d’une élégance souveraine, la pâte pianistique est riche sans lourdeur. Le jeu est très nuancé et stylé sans affèteries. La délicatesse des phrasés, les belles nuances et les couleurs irisées donnent beaucoup d’intensité à son interprétation.
Le concert s’achève sur un triomphe et le maître si généreux va chercher sa plus jeune élève si douée et ensemble ils nous offrent un bis prodigieux et très émouvant (variations à 4 mains de Chopin sur un thème Irlandais). La transmission au cœur de ce concert donne un espoir énorme en l’avenir. Le temps idéal a participé à la magie de la soirée.
Photos: Pierre Morales
Texte écrit par Hubert Stoecklin

Photo: H.S.