Le rugby féminin : bien plus qu’un sport (2)
À Toulouse, le rugby est une institution. Mais au-delà du ballon ovale et de la passion toulousaine, que se passe-t-il quand ce sport devient un espace de solidarité, de confiance – voire d’émancipation féminine ?
J’ai donc rencontré Emmanuelle Choussy — communicante et photographe, féministe, passionnée du rugby et fondatrice de Femmes du Rugby. Elle déclare : « Le rugby est un exemple vivant de tolérance, respect et liberté, et peut tout changer. » Ici, vous découvrirez comment elle utilise le rugby de manière créative pour œuvrer pour l’équité entre les femmes et les hommes.
Emmanuelle Choussy
Emmanuelle Choussy : Entre photo, rugby et féminisme
Bien qu’Emmanuelle Choussy n’ait jamais pratiqué le rugby, ce sport a toujours fait partie de sa vie : « C’est mon père qui m’a transmis sa passion. Il était le kiné de l’équipe de Beaumont de Lomagne dans les grandes années, donc l’univers du rugby a toujours été présent à la maison », raconte-t-elle. Mais tout comme pour la photographie, elle ne s’attendait pas à faire de ses passions le cœur de sa vie professionelle. Au cours de ses études — une maitrise de Lettres Modernes suivie d’un master 2 en Communication à Toulouse — elle s’est formée à la photographie de manière autodidacte, un choix qui allait bientôt guider son parcours.
En 2011, elle part à Los Angeles pour se consacrer essentiellement à la photographie de mode et d’art. Elle y construit une belle carrière, immortalise des célébrités et décroche en 2015 le prix de la Meilleure Photographe aux Hollywood Beauty Awards.
De retour en France en 2017, Emmanuelle Choussy s’investit dans des projets artistiques et caritatifs. En 2020, elle publie Women, son premier livre-photo au profit de la Ligue contre le cancer, qui met déja en lumière « des femmes fortes, chacune à leur manière ». « Après Women, j’ai voulu aller plus loin. L’idée m’est venue en amont de la Coupe du Monde de rugby en 2023 : utiliser mon travail pour défendre les droits des femmes, à travers le prisme du rugby. » C’est ainsi qu’est né le projet unique Femmes du Rugby, dont le premier livre-photo a été publié en 2023.
Femmes du Rugby
Une femme inspirante est à l’honneur, choisie par un·e joueur·se de rugby professionnel·le : C’est ça, le concept de Femmes du Rugby. Chaque joueur·se sélectionne une femme qui l’a inspiré·e, touché·e ou influencé·e, qu’elle ait un lien avec le rugby ou non. Ensemble, ils sont photographiés par Emmanuelle Choussy.
Et le projet va plus loin : Chaque duo propose un thème personnel sur lequel il échange et raconte un engagement ou une passion commune. Ces conversations, filmées par une équipe engagée, donnent lieu à un témoignage multimédia à la fois vivant et sincère.
« Le but principal de notre équipe est de valoriser les parcours divers et inspirants des femmes. Les participants abordent également des thématiques universelles telles que l’égalité hommes-femmes, le sport-santé, l’inclusion, le don d’organes, l’écologie et bien d’autres, sujets qui ont un véritable impact sur la société. Même si ces thèmes peuvent être difficiles, nous espérons que chacun pourra s’y reconnaître et que nous pourrons aider des personnes à surmonter les épreuves de la vie, en les inspirant » raconte la fondatrice Emmanuelle Choussy, reconnaissante de pouvoir concrétiser cette vision aux côtés d’une équipe si engagée.
Deux légendes de rugby féminin se rencontrent
Son équipe vient justement de revenir d’un entretien à Biarritz où Wanda Noury – première femme arbitre, pionnière du rugby à XV et première femme élue au comité directeur de la FFR, a posé devant l’objectif d’Emmanuelle Choussy, sur invitation de Danièle Irazu – ancienne joueuse internationale de rugby et co-présidente du club de rugby d’Hendaye.
Wanda Noury et Danièle Irazu
« Deux légendes du rugby, qui ont profondément marqué l’histoire du rugby féminin, se sont retrouvées devant notre caméra ! », s’enthousiasme Emmanuelle. Figure incontournable du rugby féminin, Wanda Noury a joué un rôle déterminant dans son développement. « Avec ses 83 ans, Wanda Noury a vu toute l’évolution du rugby féminin depuis la fin des années 1960, à une époque où le rugby féminin était marginalisé, perçue comme étrange, et où les équipes féminines étaient quasi inexistantes. », explique Emmanuelle Choussy. Elle a brisé de nombreux stéréotypes et occupé presque tous les rôles possibles : joueuse, arbitre, dirigeante, manager de l’équipe de France, et membre influente du comité directeur de la FFR. Aujourd’hui encore, elle continue de s’investir en coulisses pour soutenir et faire grandir le sport qu’elle aime.
Pour Danièle Irazu, quintuple championne d’Europe avec l’équipe de France entre 1995 et 2007, qui s’investit toujours activement pour le rugby féminin, notamment en tant que co-présidente du club de rugby d’Hendaye, Wanda Noury est bien plus qu’un modèle : « À l’arrivée de Danièle en sélection nationale – qui, à l’époque, ne pouvait pas encore porter le nom de « XV de France » – Wanda a joué un véritable rôle de grande sœur pour Danièle. Elle prenait soin des nouvelles joueuses, les guidait, leur apprenait à bien se tenir et défendait auprès de ceux qui ne croyaient pas au rugby féminin », raconte Emmanuelle Choussy.
Les deux légendes ont mis en lumière une thématique centrale pour de nombreux duos féminins de Femmes du Rugby : le sentiment de non-légitimé, la lutte pour que les femmes trouvent leur place dans le sport et le rugby de haut niveau, les hommes hauts placés qui n’ont pas défendu (ou carrément empêché) le rugby féminin et d’autres difficultés spécifiquement liées aux femmes.
Aux côtés de Wanda Noury et Danièle Irazu, bien d’autres joueurs et joueuses ont également pris part au projet Femmes du Rugby. En voici une sélection :
Un progrès lent vers l’égalité
Au fil du temps, Emmanuelle a beaucoup échangé avec des joueuses de rugby et en est arrivée à cette conclusion : « Il y a des avancées vis-à-vis de l’égalité hommes-femmes dans le rugby, mais ils ne vont pas assez vite. »
« Il existe encore de grandes différences de traitement entre les femmes et les hommes dans le rugby. Par exemple, au niveau des terrains : souvent, les entraînements des hommes sont prioritaires, alors que ceux des femmes ont lieu quand les terrains sont inoccupés par les hommes. C’est une question de moyens : certains clubs ne peuvent pas non plus équiper correctement les filles ; elles reçoivent souvent des tenues d’occasion des hommes, trop grandes pour elles. De plus, il y a un manque de joueuses. À partir de la puberté, garçons et filles sont séparés en clubs, et c’est là que se posent les difficultés pour former des équipes complètes, comme l’a rappelé Serge Blanco dans son tournage » , explique Emmanuelle.
Au niveau professionnel, c’est un cercle vicieux : les stades sont vides parce que les matchs ne sont pas assez médiatisés, mais sans public, il est difficile d’attirer la médiatisation. « Quand j’étais au stade de Toulouse, ils ouvraient les tribunes au fur et à mesure, ne s’attendant pas à avoir beaucoup de spectateurs — ce n’est pas très motivant pour venir assister aux matchs. », raconte Emmanuelle. Mais malgré les inégalités qui persistent, elle voit un grand potentiel dans le rugby.
Un exemple à suivre pour la société
« Je pense que le sport, en général, peut tout changer — mais le rugby, en particulier, a le pouvoir d’influencer profondément la société », souligne Emmanuelle Choussy. « Le rugby est un véritable exemple de tolérance, de liberté et d’esprit d’équipe. Ce qui fonctionne déjà sur le terrain devrait être transposé dans la vie quotidienne. Ici, on se respecte, on ne se juge pas, il y a une place pour chacun·e. Personne ne se sent inutile. On perd et on gagne ensemble, en équipe. » conclut elle.
Si vous souhaitez soutenir l’équipe Femmes du Rugby, le collectif se réjouit de chaque soutien. Sur leur site vous trouvez plus d’images, d’extraits vidéo et le livre Femmes du Rugby.
Sur ce thème, j’ai d’ailleurs échangé avec l’équipe Les Gilbertes de Toulouse, qui m’ont partagé ce que le rugby féminin leur apporte — entre valeurs de vie, libération des insécurités et confiance en soi retrouvée. Un échange inspirant à découvrir sur notre site !
