Le rugby féminin : bien plus qu’un sport
À Toulouse, le rugby est une institution. Mais au-delà du ballon ovale et des troisièmes mi-temps, que se passe-t-il quand ce sport devient un espace de solidarité, de confiance – voire d’émancipation féminine ? C’est ce que j’ai voulu comprendre en rencontrant les Gilbertes, équipe loisir de rugby féminin, où 58 joueuses, de tous horizons et de tous âges, se retrouvent chaque semaine pour plaquer les stéréotypes autant que les adversaires.
Plaisir au lieu de Pression
« Je ne veux pas vous déranger », glissé-je en entrant dans le vestiaire. « T’inquiète, on a l’habitude de se voir à poil », me répond en riant Ariane Zanatta. À 45 ans, cette Toulousaine passionnée de rugby a découvert le sport à l’université. Un jour, des filles lui lancent : « T’es grande, tu veux venir avec nous ? » — une phrase qui changera sa vie.
Éloignée un temps du terrain par la vie de famille, elle revient au rugby grâce à son mari. « Je suis revenue avec un immense sourire… et je ne suis plus jamais repartie », confie-t-elle.
Les Gilbertes, c’est une équipe loisir. Pas de compétition, pas de pression. Juste du plaisir, du rire, et beaucoup de solidarité. En 2012, elles étaient sept. Aujourd’hui, elles refusent des inscriptions. « Avant, beaucoup de femmes n’osaient pas jouer — ce n’était pas ce qu’on attendait d’elles », explique Magali Vives, présidente de l’équipe. « Aujourd’hui, on incarne un microcosme inclusif et bienveillant. C’est plus précieux que jamais. »

© Louka Viala
La chute maîtrisée
L’entraînement commence par un retour sur le tournoi du week-end dernier. Rassemblées en cercle, les joueuses échangent leurs impressions, évoquent les défis rencontrés et discutent de quelques ajustements tactiques. Après l’échauffement on entre dans le vif du sujet : aujourd’hui, place au plaquage.
« Ici, on se plaque, on se jette au sol – ce que j’adore – mais on veille d’autant plus les unes sur les autres », explique Salomé Duteurtre pendant un moment de jeu. Même blessée, cette jeune étudiante en médecine est venue profiter de l’ambiance de l’entraînement. « J’aime faire partie de ce sport collectif où l’on donne tout ensemble, où l’on libère ses émotions sur le terrain. Mais aussi l’aspect tactique du rugby me fascine : penser en équipe, construire des stratégies, réagir vite », raconte-t-elle. Magali Vives partage ce ressenti et souligne d’autres bienfaits du rugby : se sentir maline, un gain de fierté personnelle et de confiance en soi, notamment à travers l’audace de prendre la parole sur le terrain.
Le rugby est pour tout le monde
Pour la joueuse Anne-Myriam Bouin aussi, le rugby est bien plus qu’un sport : « Je suis aussi la Coach des plus petites ici. Dans le cadre du rugby, on apprend des valeurs de vie : le partage, le respect, l’entraide. On ne s’insulte pas, on ne juge pas. »

© Louka Viala
Ne pas être jugé est un aspect clé du rugby, qui le distingue fondamentalement des autres sports. « Ici il y a de la place pour tout le monde », explique le Coach Damien Mayonove. « C’est le sport qui permet au plus grand nombre de personnes de jouer – peu importe le physique », poursuit-il.
« Je me suis toujours vue comme trop grande, trop grosse et pas très sportive », raconte Ariane Zanatta. Mais grâce à cette fameuse phrase « T’es grande, tu veux venir avec nous ? », cette perception a changé pour le meilleur. « Même si tu as l’impression de ne pas être faite pour le sport, je te dis : si ! Au rugby tout le monde peut apporter quelque chose », ajoute-t-elle.
L’habitude de se voir à poil
Ariane n’est pas la seule à vivre cette expérience : « Au début, j’étais gênée d’être nue dans le vestiaire. Mais en voyant que les autres s’en fichaient, qu’elles parlaient, riaient, à l’aise… j’ai fini par surmonter mes petits complexes », raconte Magali Vives. Cette liberté, elle l’a aussi trouvée sur le terrain : « Au rugby, on est un peu obligé de lâcher prise sur ton apparence. Le maquillage coule, tu mets un casque, un protège-dents… Rien à voir avec les images lisses des sportives sur les réseaux ! » dit-elle en souriant.
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Au fil des témoignages, une chose est claire : le rugby féminin dépasse largement le cadre du sport. Il devient un espace de complicité, où l’on fait attention aux autres, où l’on apprend des valeurs importantes et où l’on peut se libérer de ses insécurités. Mais si jouer au rugby peut être perçu comme un acte féministe, les avis restent partagés.
Le rugby est-il un acte féministe ?
Le moment idéal pour en discuter avec les Gilbertes, c’est l’apéro — la deuxième mi-temps officieuse de l’entraînement hebdomadaire, où l’équipe mange ensemble et discute, en dehors du terrain.
« Pour moi, c’est un acte féministe. Le rugby est encore parfois considéré comme un sport masculin, alors que ce n’est pas du tout le cas. Mais bon, j’ai fait du judo et de la boxe avant, alors je m’en fiche », raconte une membre en souriant. « Parfois, il y a aussi du jugement quand on dit qu’on joue au rugby. Il y a toujours des mecs qui veulent t’expliquer comment jouer », s’agace une autre. À l’inverse, une troisième nuance : « Quand j’ai dit à des hommes que je jouais au rugby, leurs réactions m’ont agréablement surprise. Ils étaient enthousiastes et on a beaucoup échangé. »
Pour la majorité des personnes à qui j’ai parlé, le rugby n’est pas nécessairement un acte féministe en soi : « Même si je pense qu’il y a une dimension féministe, je ne joue pas au rugby pour cette raison. Par contre, j’aimerais que plus de gens regardent le rugby féminin », partage quelqu’une.
La présidente des Gilbertes, Magali Vives, a aussi une position claire : « J’adore le rugby et j’ai toujours eu ce côté brut, mais je fais aussi de la Belly Dance. Je me vois avant tout comme un être humain, je me fiche des normes sociales. » Pour elle, le rugby n’est pas féministe, mais il a, de manière intentionnelle, le potentiel de changer les perceptions, de contrebalancer les normes sociales, et de contribuer à leur banalisation. « Pour moi, c’est avant tout une question de liberté : je suis une fille, je suis petite, et je fais ce que je veux. Ne me sous-estime pas ! », conclut-elle.
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