L’œuvre romanesque d’Alexis Legayet se distingue par une approche satirique et philosophique des enjeux contemporains. Après avoir abordé le transhumanisme, le véganisme, le néo-féminisme, la gestation pour autrui, l’écrivain s’intéresse, dans ses deux nouveaux romans, L’oeil du cyclope et Histoire de merde, à l’édition et à l’écologie.

Alexis Legayet
En romancier lucide et inquiet, Legayet utilise la satire comme un moyen de pousser le progrès, souvent technologique, jusqu’à ses conséquences morales et politiques les plus folles. Ainsi, Bienvenue au paradis (2020) s’intéressait à un mouvement extrémiste, le Flower Power, accusant les véganes de cruauté envers les plantes ; mais on pourrait aussi évoquer Délivrez-nous du mâle (2021), qui s’alarmait des dérives féministes, ou Chimères (2022), qui s’inquiétait de la gestation pour autrui et des manipulations génétiques. L’œil du cyclope et Histoire de merde continuent dans cette voie.
Le premier s’attaque à la gloriole littéraire, avec ce qu’elle implique d’opportunisme et de soif de reconnaissance. Corentin Duchaussoy, jeune et naïf agrégé de Lettres classiques, a écrit un chef-d’œuvre, du moins le croit-il. C’est un roman sur Polyphène, le géant dont Ulysse creva l’œil unique ; cet « éclopé », cet « handicapé », est aussi « un fils de la Terre, et un puissant symbole à l’heure du changement climatique », où la planète est « perforée, atomisée, contaminée ». Mais son génial manuscrit est refusé par les grandes maisons. C’est un pur, Corentin, et l’édition obéit à des lois plus prosaïques. Un faisan finira par publier son livre, que personne ne lira, bien entendu. Corentin est prêt à renoncer à son destin quand il croise la route d’une certaine Angélica Dias, redoutable « attachée de presse et coach.euse éditive ». Mêlant humour et critique sociale, Legayet reprend le mythe de Faust, à un détail près :
« Je ne vous achète pas votre âme, moi, monsieur Duchaussoy. Vous feriez alors une excellente affaire. Car l’âme n’existe pas. »
Dans le monde où va désormais évoluer notre jeune génie, se croisent et se frottent les Narcisse et les Candide, les corrompus et les naïfs, dans un tableau des mœurs littéraires très enlevé – et on verra jusqu’où un ambitieux est capable de se compromettre pour satisfaire son égocentrisme.
Dans le second roman, Histoire de merde, un conseiller municipal, à Poissy, Marin Venius, marche dans une crotte de chien, alors que des « Toutounet » sont mis à la disposition des habitants pour éviter ces atteintes à l’intégrité pédestre. Le sang de Marin ne fait qu’un tour : il assainira Poissy, quoi qu’il en coûte, et s’attaquera au « problème canin », non que l’élu ait « quelque chose contre le chien en soi », qui n’est pourtant, hélas, « qu’un loup dénaturé ». Non, ce n’est pas à la race canine que Marin doit s’en prendre, mais à celle des propriétaires : ce sont « les maîtres les responsables », « c’est eux qu’il faut éduquer ». Or cette noble mission sera entravée par les manœuvres de puissances occultes dont on appréciera l’inventivité…
Les amateurs de fables sur les absurdités du monde contemporain se régaleront avec ces deux romans. La verve et l’ironie de Legayet, sa capacité à mêler réflexion, morale et satire, leur offriront une expérience divertissante et stimulante, finalement plutôt rare dans la littérature d’aujourd’hui.
Alexis Legayet, L’oeil du cyclope (éd. La Mouette de Minerve, 12.50 euros) ; Histoire de merde (éd. La Mouette de Minerve, 12.50 euros)