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Dès l’ouverture, donnée rideau baissé tout au long, c’est bien une véritable bourrasque musicale qui vous plonge dans l’enfer de celui qui a tout du mort-vivant. Résumons son problème : ce Hollandais est condamné à n’accoster que tous les sept ans, dans l’espoir alors, qu’une jeune femme, par sa fidélité irrépressible le délivrera de son errance perpétuelle. C’est parti pour les cinq représentations qui vous restent du véritable premier grand opéra de Richard Wagner, daté de 1843, donné dans une théâtralité que je dirai tous publics et formidablement bien chanté et interprété. C’est bien au Théâtre du Capitole.
Profitons-en pour préciser que c’est aussi dans cet ouvrage que son compositeur inaugure le principe du leitmotiv, principe qui constituera sa véritable marque de fabrique. On se plaît d’ailleurs à les repérer car ils parcourent toute l’ouverture.
Apparition aussi de la figure du héros poursuivi par une malédiction, et de la femme, objet sacrificiel se dressant sur l’autel de la rédemption : ici, c’est Senta. Suivront, Elsa dans Lohengrin, Sieglinde dans La Walkyrie.

Michel Fau et ses acolytes – MG / C31
Pour aborder des rivages du Nord aussi malmenés par les flots, il faut une fresque qui, déroulée sur presque trois heures, soit d’une grande lisibilité. Et là, bingo ! du moins pour mes goûts personnels. La prestation est constamment enthousiasmante. Le public d’aujourd’hui a droit au respect d’une œuvre créée il y a bientôt deux cents ans. Et c’est le cas. La mise en scène de Michel Fau est bien d’une parfaite lisibilité du premier plan jusqu’au dernier. Plan après plan nous avançons avec lui, avec la mer et ses humeurs, les bateaux, les marins, les fileuses, une production qui se révèle exemplaire de bout en bout. Des Chœurs du Capitole, femmes comme hommes, qui nous enthousiasment, formidablement motivés par leur Chef, Gabriel Bourgoin, les musiciens d’un Orchestre superlatif et à la baguette, Frank Beermann. Avec ses qualités habituelles : Autorité sans hystérie, largeur du geste, justesse des accents, nuances raffinées comme par enchantement, irrésistible pulsion rythmique. Il brasse embruns et déferlantes, coups de menton de l’errant, états d’âme de l’amoureuse éperdue, mais aussi de son amoureux, promis, maintenant délaissé, tout est soumis et participe au drame qui s’esquisse et éclate, émergeant des brumes du désespoir. On est “scotché“, oui ! par les décors d’Antoine Fontaine, les costumes de tous et toutes si travaillés de Christian Lacroix (merci les Ateliers), les lumières de Joël Fabing.
On peut allonger la liste avec le travail énorme côté Atelier de maquillages. On est chez Caspar David Friedrich et son Moine au bord de la mer, John Martin, Claude Joseph Vernet et autres. On est interloqué aussi par l’audace dans les enchaînements des décors. On applaudit à l’engloutissement final des damnés de la mer, leurs costumes et leurs maquillages, tandis que dans les brumes s’élèvent le Hollandais et celle qui n’a pu le sauver. On applaudit à tout sur le plan Théâtre, et aussi sur le plan Musique. Les marins sont des marins, et chantent, pas des Robocops. Les femmes sont des fileuses pas des repasseuses et les rouets ne sont pas des machines à coudre à télécommande et les bateaux ne sont pas des navettes spatiales.
C’est plus que Beau. Et comme de plus, la distribution est renversante d’homogénéité, les absents peuvent deviner le niveau atteint par le résultat. Souffle, puissance, justesse, Ingela Brimberg retrouve Senta, la fille du marin norvégien, l’adolescente fantasmant sur le portrait du mystérieux navigateur maudit. Rôle quittée il y a peu et tout est 5 étoiles à nouveau. On peut s’attarder sur la ballade “Traft ihr das Schiff“ (Avez-vous rencontré…) inspirée par l’errant, véritable matrice musicale et dramatique de tout l’opéra. Conçue en premier par Wagner, vers et mélodie, elle est comme une forme d’hallucination vocale. Par exemple, toutes les attaques ne souffrent pas un millième de seconde d’hésitation et les aigus sont comme des scuds. Signalons le duo splendide et surnaturel qui suivra quand elle est mise en présence de l’objet de ses rêves, à qui elle jure une éternelle fidélité (Wie aus der Ferne). Elle passe avec expressivité du désespoir à l’exaltation ou l’inverse. Jusqu’au bout sans défaillance aucune, c’est bien la jeune fille du rôle, d’apparence fragile, mais volontaire, au jeu très engagé et émouvant, et lui aussi admirablement nuancé. À la fin, son “Ich bin’s durch deren“ concluant sur un si aigu à pleine voix est d’une force saisissante.
Erick, soit Aimar Hernandez, que dire en résumé, si ce n’est qu’on a l’impression d’entendre un Lohengrin, donc une voix maîtrisant parfaitement le rôle, ce qui ne l’empêche pas de donner aussi des vocalises parfaitement assurées !
On est abasourdi par l’organe vocal d’Alexis Isaiev. Graves, aigus et entre, on a tout. Les moyens substantiels sont bien là et il peut aller jusqu’au finale sans souci. Si on ajoute la présence physique intense, le Hollandais va être sûrement un de ses rôles de prédilection. Intelligence du rôle et style et diction sont déjà de belle qualité. On note l’expressivité et le pouvoir de fascination du personnage sur Senta, qu’on aura la patience de lui laisser mûrir à sa guise. N’oublions pas que c’est une prise de rôle, et quel rôle.
On applaudit au très beau timbre du Pilote, le ténor Valentin Thill, à la présence physique remarquée et on n’a que des compliments à aligner à Eugénie Joneau, mezzo-soprano qui en Mary est comme sous -employée, mais comme on vient de l’applaudir chaleureusement dans Adalgisa, la voilà vengée ! Quant à la basse Jean Teigen dans Daland, c’est le beau timbre, une parfaite articulation, et une caractérisation intéressante du personnage qu’il domine sans souci, avec cette pointe de bonhommie bourrue et matoise de bon aloi. On le répète en conclusion, une distribution au sommet.

La distribution vocale plus Satan ! – MG / C31
En ces temps si complexes, un spectacle qui met du baume au cœur.
Photos : Mirco Magliocca