Le sujet de « Dossier 137 » pouvait faire craindre le pire, à savoir une charge univoque contre la police et un panégyrique des Gilets jaunes. Dominik Moll en évite tous les écueils en se focalisant sur le personnage d’une enquêtrice de l’IGPN, sérieuse et impartiale, incarnée avec force par Léa Drucker.
L’histoire cannoise de Dominik Moll est ancienne. En 2005, il avait l’honneur de présenter en ouverture du Festival « Lemming », son étrange suspense domestique tourné à Toulouse, interprété par Charlotte Gainsbourg et Charlotte Rampling. Le réalisateur revenait sur la Croisette en 2023 avec l’excellent « La nuit du 12 », enquête obsessionnelle d’un policier après l’assassinat d’une jeune femme. Le canevas est pratiquement le même dans « Dossier 137 », en compétition cette année. Une nuit, à Paris, en décembre 2018, un jeune manifestant est grièvement blessé au visage par un policier après un tir de LBD. Il cheminait dans une petite rue avec un copain et cherchait à rejoindre sa famille. Après quelques mots provocateurs à l’égard d’un petit groupe de policiers, il recevait en plein visage un projectile… Une enquêtrice de l’IGPN (la police des polices) est chargée du dossier (n° 137, donc) avec un collègue. Elle est sérieuse, opiniâtre, impartiale, tenaillée par l’obsession de la vérité. Elle auditionne manifestants et policiers qui tous, pour des raisons opposées, rechignent à témoigner…

Léa Drucker seule contre tous dans « Dossier 137 ». Photo Fanny de Gouville
Le film de Dominik Moll, coécrit par son habituel complice Gilles Marchand, suit son héroïne dans son travail minutieux et chronophage, dans sa vie de famille aussi, réduite à de brefs instants de répit auprès de son fils adolescent (elle vit séparée du père de celui-ci, policier aux stups). Léa Drucker incarne avec force cette policière mal aimée de tous, résistant tant bien que mal à une terrible pression. La période est sombre : les Gilets jaunes, d’abord poussés à agir par le déclassement social, ont dérivé vers la violence. Le gouvernement parle d’une « République en danger » et pousse les forces de l’ordre à l’épuisement. Dominik Moll raconte tout cela à la manière de son héroïne : sérieux, précis, opiniâtre, sans jamais verser dans la caricature, d’un côté ou de l’autre. Avec, vertu suprême, un sens du suspense qui fait de « Dossier 137 » un beau film de cinéma.
« Dossier 137 », de Dominik Moll, à Cannes en compétition, dans les salles le 19 novembre