Dans la chronique Les albums culte à écouter, Culture 31 fait honneur à un grand album de l’histoire de la musique.
The Velvet Rope – Janet Jackson
En 1997, après 24 ans de carrière dans le show-business, Janet Jackson livre à son public The Velvet Rope, un 10/10 aux sonorités R&B alternatif, trip-hop profond et pop d’apparence légère. Plongeant dans sa dépression et ses fêlures, elle signe un magnum opus audacieux, intime et universel, porté par ses fidèles acolytes, les géniaux Jimmy Jam et Terry Lewis.
Une artiste face à ses ombres
Sorti chez Virgin (label avec qui Janet Jackson a renégocié son contrat l’élevant au niveau de musicienne la mieux payée de la musique mondiale), The Velvet Rope marque un tournant pour l’artiste américaine, icône pop et R&B née en 1966. Après le triomphe mondial de janet. (1993), son disque le plus vendu, elle traverse une dépression. Les démons de son enfance (dont l’effet yoyo de son poids moqué et sa situation familiale pas facile) refont surface. Elle explore les profondeurs artistiques de cette dépression et ce qu’elle peut faire jaillir avec ses producteurs Jimmy Jam et Terry Lewis. Ces derniers produisent pour elle depuis Control (1986), un album pionnier de la pop mondiale et du R&B contemporain, qui aurait mérité de gagner le Grammy Award de l’album de l’année en 1987 à la place du démodé Graceland de Paul Simon. Control s’éloigne de la pop-soul typique du rhythm and blues de l’époque pour un hip hop plus soul justement instillé grâce au new jack swing dont la fusion des deux anciens comparses de Prince et de « Ms Jackson, if you’re nasty » a permis la création.
Au-delà de la corde de velours
L’album-concept pose les bases dans la première piste : un interlude (les fans de Janet connaissent son goût pour les interludes qui ajoutent un plus aux chansons, un autre décor ou un agacement qui casse le rythme). Dénommé Twisted Elegance, cette entrée dépasse la « corde de velours » (the velvet rope en anglais, ndlr) des apparences pour apprendre à mieux nous connaître, la connaître au plus profond de son âme. La piste éponyme Velvet Rope, avec un violon qui hache et un sample de la B.O du film L’Exorciste (1973), prône l’amour de soi et la nécessité de vivre une vie spéciale débarrassée d’un quotidien enclavé. You, un son trip-hop à la voix grave surprenante sortant de l’artiste qui use par habitude de sa traditionnelle voix douce et peu puissante, incite à l’intégrité à se donner à soi-même sans blâmer les autres pour ses propres actes. Les harmonies expérimentales disent non aux conventions des chansons pop.

Accompagnée de ses frères et soeurs, Janet Jackson, qui en impose tout devant, à l’âge de dix ans
© CBS Television / Wikimédia
Une cohérence éclectique
Le bijou de l’opus, Got ‘Til It’s Gone donne une voix au rappeur du Tribe Called Quest, Q-Tip, et à la chanteuse folk-jazz Joni Mitchell. Le titre sample le Big Yellow Taxi de cette dernière et célèbre la blackness comme Roberta Flack et Donny Hathaway ont pu le faire. Le clip vidéo de la chanson en est la magnifique illustration. Il est d’une beauté cinématographique imparable. Le son, lequel sera toujours associé à ce chef-d’œuvre anti-apartheid, allie R&B alternatif et sensualité. My Need, reprenant la basse du classique soul et disco Love Hangover de la diva Diana Ross, met en valeur une Janet qui contrôle ses désirs et exigent qu’ils soient accomplis par son amoureux. Il est précédé d’un interlude inattendu et mythique : une absente conversation téléphonique entre Janet qui se fait du bien et Lisa Marie Presley, fille du King et ex-épouse du King of Pop, décontenancée et amusée par ce qu’elle entend. Suit Go Deep, un titre funk et R&B qui invite à kiffer en soirée, sans réel sous-entendu charnel « d’aller plus profondément ». Cet éclectisme des sonorités peut ravir tous les publics sans s’éparpiller pour autant. Les productions de Jackson et de Jam & Lewis sont certaines des plus cohérentes (dans leurs œuvres) de la pop music mondiale, genre dans lequel on tend généralement à s’accaparer tous les sons commerciaux possibles pour les nettoyer (ils perdent alors leur substantifique moelle) et vivifier l’industrie musicale. Le son dance-funk et R&B expérimental de Free Xone (prononcé zone) défend l’amour sans règles pour tous les genres et tous les sexes.

Janet en 2015 © J Vettorino / Wikimédia
Un chef-d’œuvre intime et libérateur
The Velvet Rope brille par sa cohérence, mais aussi par son audace. Together Again, le plus grand tube de la star vendu à 6 millions de vrais exemplaires achetés en boutique, rend un hommage à son ami emporté par le SIDA qui veillera toujours sur elle comme l’ange qu’il est et qu’elle aime, comme chacun de nous pour nos morts. Le clip tribal du tube rayonne de couleurs : la chanteuse du hit viral sur TikTok Someone To Call My Lover s’y dédouble et elle est accompagnée d’animaux de la savane. La ballade à la production détaillée Empty dévoile la solitude de Janet malgré la présence de son mari (qu’elle quittera en 2000), tandis que What About alterne couplets doux et refrains rock pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles que toutes les femmes vivent. Every Time exprime un amour simple. Le vidéoclip de ce dernier, tourné dans les bains suisses, est particulièrement beau. Le doux mélancolique Tonight’s the Night, reprise de la version ringarde de Rod Stewart, réinvente un ménage à trois où Janet aime l’homme et la femme avec une douceur rafraichissante.

La Janet Jackson de la période « Control » en 1986 © A&M Records / Wikimédia
L’autre tube de l’album I Get Lonely, un son jazzy mature et un titre emblématique du genre R&B et de l’époque de la grandeur de l’enregistrement studio des années 1990, clame une adoration déchirante pour celui qu’elle aime, surtout quand il n’est pas là. Le breakdown du hit est saisissant. Rope Burn, aux ambiances BDSM (le titre signifie « la corde brûle », ndlr) est inspiré de Barry White. C’est un titre séduisant par sa sensualité. Anything prolonge cet érotisme ; le gospel de Special console la jeune Janet à qui elle lui raconte comment ça ira mieux plus tard et qu’il faut foncer dans la vie pour être heureux. Can’t Be Stopped, la dernière piste de ce vaste et long album réaffirme l’invincibilité à incarner en chacun de nous.
Enregistré pendant une période difficile de la vie de la dernière des Jackson, l’album définit le R&B alternatif. Il a influencé Beyoncé, Alicia Keys, The Weeknd ou encore Bruno Mars. Sans aucun besoin de patronyme, Janet est une pionnière depuis Control. L’icône sous-cotée, dont les fans de musique découvrent ou redécouvrent sa musique reconnaissent l’influence, a été victime de cancel culture en 2004 sur la scène de la mi-temps du Superbowl. Sept and plus tôt, avec son sixième album, The Velvet Rope, elle offre une œuvre magistrale, un passage obligé pour toutes les popstars de Britney, en passant par Christina, jusqu’à Sabrina (Carpenter) qui veulent, comme Janet, dévoiler une nouvelle version d’elle-même plus mature qui fait dire au public : « go deep ! ».