Dans la chronique Les albums culte à écouter, Culture 31 fait honneur à un grand album de l’histoire de la musique.
Nightclubbing – Grace Jones
En 1981, Grace Jones sculpte Nightclubbing, un chef-d’œuvre aux genres reggae, new wave et disco-funk. Porté par sa voix androgyne et des reprises audacieuses, l’album redéfinit la musique pop et célèbre la liberté.
Une icône redessine la pop
Sorti en 1981 chez Island Records (le même label qu’Amy Winehouse, dont Culture 31 a consacré une précédente chronique), Nightclubbing consacre Grace Jones, mannequin et chanteuse jamaïcaine, comme figure avant-gardiste. Après ses débuts tâchés de disco ringard (excepté les bijoux La Vie en Rose et Atlantic City Gambler), elle s’entoure des géants Sly & Robbie (Britney Spears, Beenie Man) pour le précédent album de Jones (Warm Leatherette, sorti en 1980) et celui-ci pour fusionner reggae, new wave et funk.
Walking in the Rain, reprise reggae du groupe new wave Flash and the Pan, ouvre sur un slam sous la pluie où la muse de Jean-Paul Goude déambule seule dehors. La guitare électrique finale donne une élévation au titre. Pull Up to the Bumper est peut-être l’un des plus grands hits de l’artiste, le meilleur sans doute. Une métaphore au monde automobile est suggérée. Elle demande à la limousine noire de s’arrêter dans son pare-chocs. C’est dit ! Les chœurs gospel du titre et les klaxons créent une ambiance de fête criante et puissante. Use Me, la cover du classique de Bill Withers (un des artistes solos qui ont le mieux défini la musique des années 1970 avec Bowie, Marvin Gaye, Al Green, Elton John et Wonder), se dévoile en reggae-art pop, où Jones accepte d’être muse dans le monde artistique underground (plus tard dans le cinéma, où nous, autres aficionados de la saga James Bond, l’avons adorée dans Dangereusement Vôtre (1985) avec Roger Moore) si le plaisir est partagé. Ses harmonies exagérées défient les normes de la chanteuse populaire. Nightclubbing, reprise d’Iggy Pop, transitionne l’originale marche militaire en un reggae porté par une guitare basse minimaliste. Avec la réverbération de la voix volumineuse de Jones, cette dernière dénonce la routine zombie face au kiff de danser au club. Art Groupie, chanson ostensiblement autobiographique, évoque son rôle de muse pour Jean-Paul Goude, son ex, dans un new wave déconstruit. Elle reprend les paroles de Bill Withers pour affirmer qu’elle ne sera aimée qu’en tant que muse. Un faux constat, évidemment.

Grace Jones en concert en 2011 © Stuart Sevastos / Wikimédia
Liberté et sophistication
Nightclubbing excelle par sa diversité. I’ve Seen That Face Before (Libertango), qui reprend la même base que le Libertango d’Astor Piazzolla, mêle reggae et tango, avec le slam en français (écrit par l’actrice Nathalie Delon) sur une nuit parisienne et haussmannienne hantée, entendue dans Frantic ou Un, Dos, Tres. Jones ne souhaite qu’avoir de la compagnie contre la solitude. Feel Up, écrit par l’interprète de Slave To The Rhythm toute seule, est un reggae-pop. En créole jamaïcain, elle prône la poursuite des rêves. Demolition Man, écrit par Sting, a un synthé typique de 1985 en 1981. Les productions sont en avance sur leur temps. La piste conclusion I’ve Done It Again, une ballade pop-soul signée Marianne Faithfull spécialement pour elle, fait penser à Carly Simon. Elle y décrit un voyage psychédélique qu’elle imagine entreprendre au Pérou ou en Alaska par la consommation de LSD.
À l’écoute de cet album culte à écouter, on ne peut que savourer chaque note, portée la voix unique de Grace Jones. Les pistes de Nightclubbing prennent leur temps (4-5 minutes par la majorité d’entre elles). Sublimé par sa pochette iconique (l’artiste en costume Armani, cigarette ergonomiquement positionnée dans sa bouche), le magnum opus de Grace Jones reste un manifeste de liberté et d’expérimentation.