Après un berger corse en butte à la mafia dans « Le Mohican », de Frédéric Farrucci, on découvre un Québécois en transhumance dans les Alpes, avec sa petite amie, dans un film au titre simple et explicite, « Bergers ». Signée Sophie Deraspe, une merveille de beauté, à la fois tendre et pleine d’âpreté.
« Bergers » est un conte cruel mettant aux prises un Canadien en rupture de ban avec la dureté du réel. Las de vendre du vent avec les recettes du marketing, le Montréalais s’échappe vers la Provence avec la ferme intention de devenir berger. Il a beaucoup lu sur le sujet mais n’a aucune expérience. Il aimerait raconter sa nouvelle vie mais il va devoir en passer par un rude apprentissage. A Arles, joliment filmée dans sa chaude lumière provençale, il décroche un premier contrat, payé au noir, chez un paysan grognon dont la ferme est en phase avancée de désintégration. Son gîte est une cahute accolée à la bergerie. L’odeur est prégnante, la chaleur tenace, la poussière fatigue les yeux et les poumons. Quant à l’éleveur, entre colère et désespoir, il déteste ses bêtes. Rejoint par une jeune femme rencontrée dans un bureau de la préfecture, le Canadien change de crémerie et prend en charge plusieurs centaines de brebis pour une transhumance les menant vers les Alpes de Haute-Provence. Il peut enfin associer travail terrien et élévation de l’âme, soin attentif des animaux et passion amoureuse…

Félix-Antoine Duval et Solène Rigot dans « Bergers ». Photo Pyramide
Incarnés par Félix-Antoine Duval et Solène Rigot, ces deux bergers d’altitude, incarnations d’une longue tradition, condensent tout autant nombre de questionnements contemporains – sur la vanité de la modernité, l’exigence d’une vie plus riche, la recherche d’un absolu. La réalisatrice Sophie Deraspe glisse ces interrogations métaphysiques avec subtilité, donnant à voir la beauté du monde – elle filme remarquablement la montagne, univers peu exploité par les cinéastes – sans jamais oublier que la nature, elle aussi, peut être extrêmement violente. Quant à ses deux acteurs principaux, ils resplendissent de vitalité et de détermination rageuse. Ils sont accompagnés dans cette quête de sens par deux autres comédiens formidables, Guilaine Londez en éleveuse survitaminée et David Ayala (révélé par « On ira ») en paysan gouailleur. Seule fausse note de ce film enthousiasmant, une musique (composée par Philippe Brault) qui en fait trop dans le lyrisme facile. En couper une bonne partie eut été une sage décision.
« Bergers », de Sophie Deraspe, actuellement au cinéma.