Ce vaisseau-là est devenu mythe mais le titre d’origine est Der Fliegende Hollander ou The Flying Dutchman de Richard Wagner. Appelez-le comme vous voulez, mais sachez que cela va secouer sur la scène du Théâtre du Capitole. Du 16 au 27 mai, six représentations de la nouvelle production de la première grande fresque romantique du compositeur allemand à qui on doit la musique et le livret en trois actes, qu’il a écrit et entièrement versifié. Opéra créé le 2 janvier 1843 à Dresde au Königliches Hoftheater, puis révisée en 1860.

Proue du bateau-gravure de Gustave Doré
En trois mots ou quatre, d’après un épisode des Mémoires de von Schnabelewopski du poète Henri Heine, un capitaine hollandais vole littéralement sans repos, maudit, de mer en mer. Il a défié le Ciel en passant le cap des Tempêtes, et ne peut toucher terre que tous les sept ans. Seule le sauverait une jeune fille qui le fixe à terre, fidèle jusqu’à la mort. Wagner a alors trente ans, sans toit ni port, ni attaches en ce monde. Senta sera cette fille pleine de foi, qui sait par cœur la ballade du Hollandais volant, et va payer de sa vie le salut du pourchassé. « Avec le Vaisseau fantôme commence ma carrière de poète pour laquelle je quittai celle de fabricant de textes d’opéras. » R. Wagner – Déclaration faite dans sa Communication à mes amis en 1851. L’ambition de réaliser une œuvre d’art totale sera désormais l’objectif unique du musicien poète.

Richard Wagner à 29 ans. Portrait en 1842 de son ami Ernst Benedikt Kietz
Incontournable spectacle à divers titres. Tout d’abord, quand on sait qu’à la direction, nous retrouvons Frank Beerman, le chef qu’on ne présente plus, car énumérer Elektra, La Femme sans ombre et Parsifal, Tristan et Isolde nous plonge à nouveau dans de si grands moments d’opéra et nous remplit d’impatience de sombrer sur les côtes norvégiennes. Dans l’« abîme mystique » de la fosse orchestrale, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Nous sommes conquis par avance. Ils sauront sauver de la tempête le Vaisseau fantôme, mais aussi conduire à l’engloutissement final du Hollandais et de ses spectres.

Bateau dans la tempête – Gravure de Gustave Doré
À la mise en scène, un homme de théâtre qui nous a déjà prouvé qu’il aime le théâtre mais aussi la musique et par-dessus tout travailler pour le Théâtre du Capitole. Il suffit de se remémorer des moments d’Ariane à Naxos, d’Elektra, de Wozzeck pour que l’on s’enthousiasme à l’avance de le savoir responsable des décors avec Antoine Fontaine, des costumes avec Christian Lacroix et des lumières avec Joël Fabing. J’ai nommé Michel Fau. Et un metteur en scène qui saura nous prouver aussi que le livret n’a aucun secret pour lui!
Autre point encore : le Chœur du Capitole dont les membres ont une lourde tâche à assumer dans cet ouvrage. Menés par leur Chef, Gabriel Bourgoin, ils seront à leur affaire puisque couverts d’éloges régulièrement. Aucune crainte. Ni pour les matelots, ni pour les fileuses.

Le ravissement – Charles Lebrun
L’héroïne de cette épopée s’appelle Senta. Elle incarne la première esquisse du thème axial de la production wagnérienne, celui de la rédemption de l’homme par l’amour absolu d’une femme vouée à son salut. Marie-Adeline Henry prend possession de ce rôle pour la première fois, rôle que lui a confié Christophe Ghristi, après sa magnifique prestation récente dans Jenufa ici même. Pour ce personnage, en qui doit coexister la naïveté, l’innocence et l’exaltation de la mission à accomplir, ce jusque dans la mort, Wagner convoque une voix soprano comme celle de Marie-Adeline.
Ouvrage à ne pas conseiller aux féministes pur jus et à cerveau de limande, l’homme prend dans cet opéra ô combien romantique, la figure du Hollandais volant, condamné à errer sur les mers pour avoir un jour défier Dieu. Tous les sept ans, il lui est accordé de reprendre pied sur terre, afin d’obtenir les faveurs éventuelles de celle appelée à le sauver. “Die Frist ist um“ : “le terme est échu“ ce sont les premiers mots du Hollandais qu’il prononce dans ce récitatif et l’air qui suit. Ils font appel à la gamme la plus variée des ressources techniques dans un large spectre du registre de deux octaves, des qualités qui ont décidé notre Directeur artistique de confier ce rôle au baryton Aleksei Isaev. Il nous avait déjà convaincu dans Rusalka où il fut un remarquable Ondin. Dans La Femme sans ombre, le rôle du Borgne, avec ses deux frères, lui allait comme un gant ! À la qualité expressive (variété des intensités et des nuances) s’ajoute le pouvoir de fascination du personnage pour lequel le spectateur et l’auditeur auront les yeux et les oreilles de Senta. Senta et le thème du portrait du Hollandais accroché chez elle et qui l’a directement envoûtée, avec sa puissance invisible agissante qui conduira Senta à la mort. Tout dans cette puissance macabre du Regard.
Pour étoffer encore davantage le pouvoir magnétique de l’ouvrage, citons le malheureux Erik, absent dans la légende rapportée par H. Heine, qui va tenter de ramener sa fiancée à la raison, rôle confié à un ténor que nous connaissons bien au Capitole depuis son Alfredo dans La Traviata, Airam Hernàndez, et surtout ses huit Pollione dans Norma en 2019, sans oublier le faux-Dimitri dans Boris Godounov. Il l’avoue, au Théâtre du Capitole, il est comme chez lui. Sa voix évoluant, des opportunités nouvelles se présentent comme celle-ci.
Et ce n’est pas terminé. Le papa de Senta, Daland propriétaire du bateau norvégien, est la basse Jean Teitgen qui, sur un départ tardif dans l’univers du chant, met les bouchées doubles et dans une profusion de rôles se retrouve au Théâtre du Capitole dans cette prise de rôle tout à fait bienvenue. Il aura découvert avec envie l’étendue des trésors du mystérieux Hollandais et n’hésitera pas à lui proposer la main de sa fille comme monnaie d’échange. Quant à Mary, nourrice de Senta, rôle dit de comprimari, c’est la mezzo-soprano Eugénie Joneau qui a fait un tabac en Adalgisa il y a quelques jours dans ce Norma d’apocalypse ! Présence d’un luxe total car Wagner lui a donné juste quelques répliques ! Allons même jusqu’au Steuermann ou Pilote confié au ténor Valentin Thill, Tamino dans la dernière Flûte enchantée.

Pleine Tempête
Quelques détails concernant l’Ouverture qui se passe dans l’« abîme mystique » de la fosse sur une dizaine de minutes. Somptueuse, grandiose, elle constitue un admirable prologue, une sorte de grand portique sonore très évocateur qui nous introduit immédiatement au cœur du drame, en pleine tempête, dans ce monde fascinant et angoissant de la légende du Hollandais maudit. Tous les thèmes de la partition d’orchestre seront réemployés dans les trois actes du drame chanté qui suit. Et tout d’abord le thème de la tempête, thème central, leitmotiv essentiel de l’œuvre, entendu dès le début de cette Ouverture, dans un mouvement rapide (Allegro con brio)
Sur un crépitement des cordes sous forme de trémolos, les quatre cors à l’unisson et les deux bassons énoncent un poignant appel sur fond de de gammes chromatiques montantes et descendantes des violoncelles et des contrebasses qui évoquent la violence et les sifflements du vent !
Une fanfare lugubre aux cors et aux trompettes semble lui répondre tandis qu’un nouveau motif paraît aux cordes où l’on devine l’agitation des vagues.
Thème fondamental et motifs annexes reparaîtront par la suite.
Après le déchaînement des flots, la tempête s’apaise progressivement à l’orchestre sur un roulement sourd de la timbale.
Le deuxième volet de cette Ouverture est axé sur le thème magnifique de caractère lyrique que Senta chantera au second acte, dans la deuxième partie de sa ballade : c’est le thème de la rédemption. Il est énoncé par le cor anglais (hautbois) et repris ensuite par le hautbois. Une accalmie bienvenue après le déferlement des vagues. Ce thème est joué dans un mouvement calme, apaisé (un Andante)
Le thème de la tempête va reparaître dans le tempo initial et suivra dans un tempo très animé.
Vous ne pourrez rater la transition qui prépare le nouveau thème de caractère populaire (chants de réjouissance des matelots). Il sera énoncé par les bois, les cors et les trompettes et correspond aux divertissements des matelots, au début de l’acte III.
Mais, à nouveau, l’orchestre s’empare du thème de la tempête et se déchaîne dans un long développement, tendu, passionné, frénétique. Il débouche “strigendo“ (= en pressant), dans toute la force de l’orchestre, sur le thème de Senta. À ce moment, comme par enchantement, après les premières notes, l’orchestre se calme, s’adoucit, s’alanguit : le thème de la tendresse et de la rédemption par l’amour cherche à se glisser, s’insinuer au milieu des éléments hostiles, maléfiques.
…………………
Le développement de cet épisode s’achèvera sur un dernier déferlement de la mer, suivi d’un « arraché » de l’orchestre parvenu au maximum de sa colère. Après un long silence, une courte transition de l’orchestre ramène la mélodie de Senta, magnifiée, triomphale qui s’impose définitivement en une admirable péroraison, sereine et radieuse. Et nous passons aux choses sérieuses. Le bateau norvégien n’a pu arriver jusqu’à son port et s’est “planqué“ dans un fjord un peu avant sur la côte bientôt rejoint par le bateau aux mats noirs et voiles rouges du Hollandais.
Prolonger votre expérience en découvrant Toulouse autrement en réservant à l’Hôtel Albert Ier
L’équipe de l’Hôtel Albert 1er, situé dans l’hyper centre ville de Toulouse, vous invite à partager une parenthèse et à profiter d’un séjour orienté slow tourisme.