Alors qu’elle s’apprête à essayer le costume frappé du deuil de la veuve de Pompée, Rose Naggar-Tremblay se retrouve dans le complet/veston du plus célèbre Jules de l’Histoire : César. Exit le largo qui caractérise la ligne vocale de Cornelia, place à l’allegro et au staccato qui sont la marque de fabrique de la plupart des interventions du vainqueur de la guerre des Gaules dans le chef-d’œuvre de Georg Friedrich Haendel. Ce qui n’est pas pour déplaire à cette jeune contralto québécoise qui, en fait, rêvait de ce rôle.
Rencontre
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Rose Naggar-Tremblay
Classictoulouse : Le public toulousain vous a découverte en janvier 2024 lors des reprises de La Femme sans ombre de Richard Strauss, spectacle dans lequel vous chantiez La Voix d’en haut ainsi qu’Une servante. Quel souvenir avez-vous de cette première prise de contact avec le Capitole de Toulouse ?
Rose Naggar-Tremblay : Je connais le Capitole de réputation bien sûr mais je n’étais jamais venue auparavant. Lorsque j’ai été invitée pour cette Femme sans ombre, mon premier choc a été de me retrouver aux côtés de Sophie Koch qui chantait La Nourrice, et qui était mon idole lorsque j’étudiais à l’Université. Toute la distribution était d’ailleurs superlative et de suite j’ai eu envie de revenir ici dans un grand rôle. Mais je ne pensais pas que ce serait aussi rapide !
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Rose Naggar-Tremblay
Vous êtes Québécoise et avez fait toutes vos études à Montréal. Comment définissez-vous votre voix alors que vous êtes en tout début de carrière ?
Je suis native de Montréal. J’ai commencé ma carrière avec des rôles de mezzo-sopranos mais très rapidement je me suis rendue compte que c’était dans mon registre grave que j’étais la plus à l’aise autant dans le contrôle de mes couleurs que dans mon agilité vocale. Certes je chante Carmen et le Requiem de Verdi mais c’est vraiment dans la tessiture de contralto que ma voix s’épanouit le mieux.
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Rose Naggar-Tremblay dans le rôle de Carmen – Photo : DR
Dans quels répertoires avez-vous été engagée pour l’instant ?
Haendel avant tout. Je viens d’enregistrer mon premier album autour de ce compositeur avec l’Orchestre de chambre de Toulouse. Sur ce disque il y a quelques airs de Cornelia qui « devaient » me préparer en amont à ma prise de rôle au Capitole…
Vos goûts personnels vous dirigent-ils vers des compositeurs particuliers ?
En fait je crois que j’aime tout, y compris la Variété. D’ailleurs, après le Capitole je retourne au Québec où je vais chanter avec l’Orchestre symphonique de Montréal et Robert Charlebois des chansons de ce dernier.
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Rose Naggar-Tremblay – Photo : DR
Vous êtes de retour sur la scène du Capitole avec un rôle autrement exposé que ceux de La Femme sans ombre. Avec une surprise, car au dernier moment, ou presque, alors que vous étiez distribuée pour Cornelia, à la suite de la défection d’Elizabeth DeShong, Christophe Ghristi vous a proposé rien moins que le rôle-titre : Jules César. Est-ce un rôle que vous connaissiez ?
L’appel de Christophe Ghristi date de sept jours avant le début des répétitions, cela fait donc à peu près un mois et demi. Pour préparer un rôle comme celui-ci, il est plus prudent de commencer six mois avant. Mais j’étais dans une sorte d’alignement vocal car j’enregistrais alors mon album avec l’Orchestre de chambre de Toulouse. D’autre part, ce personnage est l’un de mes préférés dans le répertoire haendélien et je rêvais un jour de l’interpréter. Donc je ne pouvais refuser. J’ai quand même demandé si un pianiste pouvait m’aider. Le Capitole a mis à ma disposition Robert Gonnella avec lequel j’ai travaillé quotidiennement à partir de ce moment-là. J’ai également pu compter sur Lena Hellström-Färnlöf, ma prof de chant qui est à Stockholm, et Chiara Cimmino, mon coach de diction, qui est à Rome. Tout cela en visio-conférence !
Alors que vous étiez préparée pour le rôle intensément tragique de Cornelia, vous voilà dans celui d’un personnage très différent, et qui plus est, celui d’un homme. Le travesti est une première expérience pour vous ? Comment l’aborde-t-on ?
J’ai déjà chanté des rôles de travesti comme Cherubino ou de nombreux autres emplois haendéliens. J’aime bien aborder les personnages en dehors d’une définition de genre, mais plutôt au travers d’une définition de pouvoir.
Quelles sont les différences vocales entre Jules César et Cornelia ?
César réclame beaucoup plus d’agilité vocale. Mais ce sont deux rôles de contralto.
Venons-en à ce rôle-titre qui a été créé par un célèbre castrat, le Sénésimo. Comment l’avez–vous travaillé dramatiquement et vocalement et quelles en sont les difficultés et les plaisirs ?
Le plus grand défi dans cet opéra c’est la mémoire car les airs sont longs et nombreux. De plus, et dans cette production, le portrait que nous donnons de César est particulièrement complexe. On sent bien que cet homme est tourmenté par des souvenirs de guerre. En plus il se sait fragile car il est éloigné de son pays. A ce portrait il faut ajouter celui quasiment d’un adolescent qui tombe amoureux d’une femme bien plus jeune que lui. César est vraiment un personnage fascinant.
L’une des difficultés se trouve aussi, pour certains interprètes, dans le fait que Haendel réclame beaucoup de souplesse dans les registres médium et grave. Or c’est dans ces registres que je suis le plus à mon aise. Le plaisir pour tous c’est de chanter face à une partition orchestrale riche et aussi transparente en cela qu’elle ne nous met jamais en difficulté.
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Rose Naggar-Tremblay
Il semble que vous aimez également vous exprimer dans un tout autre registre, je pense à Paris en bouteille…
Je compose moi-même mes chansons et c’est d’ailleurs cela qui m’a amené à étudier le chant. Durant la pandémie du Covid, la chanson est devenue pour moi un ballon d’oxygène.
Votre définition du théâtre lyrique aujourd’hui ?
On continue avec la musique ce que l’on n’arrive plus à dire avec les mots. Dans l’opéra on est au-delà des mots, on est dans la résonance. L’art lyrique permet de nous détacher de la parole pour nous transporter dans notre « animalité ». Aucun autre genre artistique ne propose pareille chose. Et il faut à tout prix conserver ce trésor qu’est le contact acoustique, cette vibration qui transperce tout, des murs du théâtre au public lui-même pour qui elle est émise.
Comment se porte l’art lyrique dans la Belle Province ?
Nous avons les mêmes problèmes que tout le monde en terme de coupures budgétaires. Mais vous savez, au Québec, nous sommes des survivants culturels. Nous avons toujours eu notre écosystème propre. Tant en termes de danse, que de chanson, que de théâtre, nous sommes très fiers de notre francophonie. Cela nous a donné l’habitude de nous battre et de faire parfois des miracles. La résilience du peuple québécois est exemplaire. Le Capitole s’inscrit dans cette philosophie. Au-delà d’une exigence très forte, Christophe Ghristi sait créer dans cette maison une écoute, une bienveillance, une attention de chaque instant qui nous transportent en nous amenant à nous sublimer.
Quels sont les rôles auxquels vous aspirez prochainement ?
Dalila !!! C’est un velours pour ma voix, un rôle qui me fait grandir. Je regarde de près des titres tels que La Grande duchesse de Gérolstein, La Périchole également. Bien sûr, il y a tout le répertoire mahlérien. Certains Rossini, mais pas tous clairement, plutôt les « seria ».
Vos engagements après Toulouse ?
Après le concert avec Robert Charlebois, à Montréal, je vais à Sofia pour une Carmen, Orlando de Haendel à Nancy. En fait j’ai aussi beaucoup de dates avec Les Talens Lyriques et pour moi c’est formidable car c’est une véritable école qui m’apporte énormément pour le style baroque. C’est avec eux d’ailleurs que je chanterais Farnace dans le Mitridate de Mozart au Théâtre des Champs Elysées et à la Scala de Milan au mois de mai prochain.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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