Paul Amar est incontestablement l’Imperator du coquillage. Mais si, coquillages en eux-mêmes et travaux sur coquillages (voir Haliotis, Murex, Nautile, …) se pratiquent dans toutes les régions maritimes du globe, certains sont bien plus apparentés à ce qu’on qualifie de kitsch. Paul Amar s’en distingue par la singularité de son inspiration, par sa prodigieuse virtuosité dans l’art du manuel, et par une surenchère sensationnelle dans une exubérance débridée pour ne pas dire folle. Alors, plus que n’importe quelle forme d’art pictural, art hors-normes ? outsider, singulier, etc., art tout court ?
Né à Alger en 1919, ancien coiffeur et chauffeur de taxi, partagé entre Paris et Alger, il passe aussi ses vacances sur les plages de Vendée, et c’est en 1974, à l’âge de 55 ans, qu’il découvre par hasard ce qui allait devenir son matériel unique de création et ce, jusqu’à ses derniers jours. « J’ai découvert dans une boutique de souvenirs des petits objets nacrés, ornés de coques et de pétoncles. Ça m’a plu. Le lendemain je suis allé ramasser des coquillages sur la plage. »
Ainsi va naître une passion qui occupera à 100% sa retraite dans son appartement d’une HLM parisienne jusqu’à son dernier soupir en 2017.
Avec ses coquillages, et en parfait autodidacte, il meule, cisèle et ajoure méticuleusement moules, huîtres, patelles, bigorneaux et coraux pour ensuite les parer de peinture acrylique et de vernis à ongles aux teintes “flashy“ irréelles. Les heures ne comptent pas, bien sûr. Paul Amar a réalisé, avec une minutie extrême, des fonds marins, des scènes sacrées ou païennes, aux couleurs ecclésiastiques chatoyantes et ornés de mille petits sujets, pailletés et vernis, avec un souci du détail incroyable. Présenté en tableaux éclairés, ou sous forme de masques ou de personnages, son art ultra kitsch, pousse la surcharge décorative et l’outrance des couleurs jusqu’aux portes du fantastique.
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L’objet est recto-verso !!!
Il a créé plus de deux cents pièces exubérantes, chacune d’une richesse et d’une sophistication sans précédent. Ramassées sur les plages ou achetées chez des poissonniers ou d’autres boutiques spécialisées, les coquillages sont broyés, découpés à la forme voulue, assemblés puis vernis et peints abondamment dans une fusion frénétique d’or glorieux et de couleurs extravagantes pour créer des tableaux savamment orchestrés aux figures fantasmagoriques.
C’est un reportage de Philippe Lespinasse pour l’émission de télé Thalassa qui l’a fait connaître, puis une exposition à la Halle Saint-Pierre, à Paris, en 1998.
L’œuvre de Paul Amar est actuellement présentée en permanence au Musée des Arts Buissonniers, en Sud-Aveyron.
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Détail sur pièce
Anecdotiquement parlant, Rose, la femme de Paul, pense de son époux, qu’il a la folie des grandeurs ! Ses œuvres, certaines démesurées, occupent tout l’espace sur les quatre murs de chaque pièce de l’appartement, chaque réalisation étant éclairée individuellement et placée à la hauteur idéale pour être exposée. « Elles doivent toutes mesurer 1,30 mètre de haut, explique Paul, sinon elles ne sont pas belles. » Paul utilise le mot algérien « yaouled » pour décrire les petites sculptures de personnages, d’animaux, de fleurs et d’éléments décoratifs qu’il construit en série et installe dans ses grands tableaux. Pourquoi “yaouled“ ? À l’époque coloniale, « yaouled » était le nom donné aux enfants en haillons des classes populaires qui vivaient et travaillaient dans la rue. Considérés comme des individus sans valeur et violents, ayant des problèmes d’identité, ils vivaient dans des bidonvilles notoires et traînaient sur les trottoirs de la capitale. Paul dit souvent que ses « trucs » sont aussi fous que lui. Il est méticuleux dans les détails, enlevant des dents à certains de ses personnages, mettant en valeur les dos voûtés et ajoutant des défigurations faciales, des furoncles, des verrues et des cicatrices. Il renforce l’effet avec des boucles d’oreilles et des anneaux de nez, un maquillage outrancier et parfois des gestes ou des poses obscènes. La « cour des miracles » imaginaire de Paul Amar rend hommage aux lieux célèbres de son enfance.
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Le crabe
Paul aimait passionnément son métier de chauffeur de taxi à Alger. « C’était bien payé, se souvient-il. J’avais des clients réguliers. Je transportais des touristes américains qui descendaient des bateaux, mais aussi des prostituées et des macs. J’aimais l’ambiance. On peut dire que je me suis spécialisé dans le transport de prostituées. » Avant l’indépendance, le port d’Alger était très fréquenté, le commerce florissait et une vingtaine de bordels fonctionnaient dans une amicale rivalité. Paul était le chauffeur de confiance des macs et son amitié avec les femmes ne cachait aucun mobile caché.
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Détail avec palourdes
A la naissance de Jackie et Richard, leurs enfants, Rose fut comblée de cadeaux. « Que leurs âmes reposent en paix, s’ils ne sont plus de ce monde », dira Paul. « Rosie et moi aimions les prostituées », ajoute-t-il. Il est clair que l’œuvre de Paul évoque quelque chose de la richesse étincelante des bordels luxueux qu’il visitait. « Vous auriez dû voir comme ils étaient beaux », se souvient-il. « Des fauteuils partout. Des vitraux. De magnifiques bars. » Une outrance kitsch qui se retrouve dans certaines de ses réalisations qu’il veut souvent de taille conséquente. « Il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des filles d’Italie et de Grèce. Personne ne faisait attention à la religion des autres. »
Sans le savoir, Paul absorbait les traits subtils qui allaient plus tard faire partie du drame humain de ses tableaux. Voilà pourquoi, ses œuvres peuvent déclencher un petit plus émotionnel et susciter un autre titre du genre : comment retrouver l’illusion d’un clandé de luxe à Alger dans un modeste logement d’HLM parisien. Grâce à tout l’art dit brut, d’un chauffeur de taxi, l’art de l’homme du commun.
> Galerie Pol Lemétais
> Site de Paul Amar
> Visite virtuelle de l’exposition