La célébration des 150 ans de la naissance de Maurice Ravel a permis de retrouver à Toulouse le grand chef catalan Josep Pons avec lequel les musiciens de l’Orchestre national du Capitole ont tissé des liens profonds et chaleureux. Avec la participation soliste du pianiste espagnol Javier Perianes, deux concerts, les 6 et 7 février dernier ont exalté les deux approches d’une certaine musique ibérique.
Maurice Ravel a rêvé en musique une véritable histoire d’amour avec l’Espagne, nourrie par la culture basque de sa mère, alors qu’il n’a jamais foulé le sol de la péninsule ibérique ! Sa vision imaginée a donné naissance à d’immenses chefs-d’œuvre dont les trois partitions inscrites au programme de deux concerts toulousains : Alborada del gracioso, la Rapsodie espagnole et le célébrissime Boléro. Le programme de ces deux concerts y associe également un autre chef-d’œuvre, Nuits dans les jardins d’Espagne (Noches en los jardines de España), pour piano et orchestre, du représentant ibérique authentique, Manuel de Falla.
La soirée musicale s’ouvre sur l’illustration d’une danse traditionnelle de Galice, l’Alborada, (l’aubade), à laquelle Ravel se réfère pour composer son Alborada del gracioso (Aubade du bouffon) qu’il orchestre en 1918. A la tête d’un Orchestre national du Capitole rutilant, Josep Pons fait flamboyer les couleurs et les contrastes de cette pièce dont il souligne l’éclat presque frénétique !
L’arrivée dynamique de Javier Perianes sur le plateau de la Halle aux grains marque la vigueur dont il anime sa vision des Nuits dans les jardins d’Espagne de son compatriote Manuel de Falla. Tout au long de l’œuvre, il soutient avec l’orchestre un dialogue d’égal à égal sans chercher à jouer le rôle premier. Il s’agit bien ici des « Impressions symphoniques » tels que les qualifiait le compositeur lui-même. Le mystère qui caractérise le premier volet, En el Generalife (Au Généralife), prend parfois des accents dramatiques. Dans les deux autres mouvements, la danse occupe une place prépondérante : Danza lejana (jardin non-identifié prétexte à une danse exotique) et En los jardines de la sierra de Córdoba (Dans les Jardins de la Sierra de Cordoue). Le dialogue entre le piano et l’orchestre installe par endroits un climat obsessionnel avec un sens aigu des contrastes.
Rappelé par les applaudissements, Javier Perianes offre, ce soir du 6 février, un bis dans le prolongement du programme : la Serenata andaluza, du même Manuel de Falla, à laquelle le pianiste insuffle une poésie touchante.
La seconde partie du concert se consacre intégralement à Maurice Ravel. Sa Rapsodie espagnole, dans sa version de 1907, intègre sa Habanera, conçue initialement pour piano, dans un ensemble orchestral de quatre mouvements contrastés, une fois encore animé par la danse. Après la douce poésie du Prélude à la nuit, Josep Pons confère aux deux mouvements intermédiaires, comme le demande explicitement Ravel, la vivacité de la Malagueña et le rythme las de la Habanera. Le chef dirige là avec un soin particulier des détails orchestraux. La Feria finale explose d’énergie et de vitalité.
La conclusion de la soirée ne pouvait susciter plus d’enthousiasme. Gageons que la programmation du célébrissime Boléro, l’œuvre classique la plus jouée au monde, n’est pas pour rien dans l’affluence qui a marqué ces deux concerts. Le fait qu’un seul et unique thème, obsédant, répété sans cesse, traverse toute la partition, a profondément choqué à la création. Un témoin qui accompagnait le compositeur ce soir-là raconte qu’une spectatrice aurait crié « Au fou ! ». Ravel aurait alors déclaré : « Celle-là, elle a tout compris ! »
La caisse claire, tenue avec rigueur par Thibaut Buchaillet, émerge à peine du silence. Elle marque le tempo implacable qui ne varie pas d’un iota tout au long de l’œuvre, quelles que soient les interventions solistes, et elles sont particulièrement nombreuses. La maîtrise commune du chef et de tout l’orchestre éclate comme une évidence. Dans un dosage parfait des différents pupitres, chaque instrument ou groupe d’instruments s’empare de l’immuable mélodie avec virtuosité et musicalité. La qualité de chaque solo atteint ici des sommets. Il n’est pas possible de nommer tous les musiciens impliqués. Que l’on me permette cependant de distinguer Louise Ognois, qui déroule le redoutable solo de trombone avec un style, un phrasé, une sonorité admirables ! Le seul changement de tonalité qui intervient dans les dernières mesures résonne comme une ultime respiration, une ultime explosion au terme d’un crescendo irrésistible.
Le triomphe prévisible est au rendez-vous. Chaque musicien ou groupe de musiciens est chaleureusement salué par le chef. Avec une ovation particulière pour Thibaut Buchaillet, le soutien constant de l’ensemble. Une acclamation particulière s’adresse évidemment à Josep Pons, l’architecte de cette réussite.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole