Adapté de l’avant-dernier roman de Russell Banks, « Oh, Canada » marque les retrouvailles de Richard Gere avec Paul Schrader, 44 ans après « American gigolo ». Le comédien est impérial en vieil intellectuel pointant tous les mensonges qui ont marqué sa vie.
Russell Banks (1940-2023) est l’auteur d’une vingtaine de livres (romans et recueils de nouvelles) qui n’ont cessé de sonder les failles de l’Amérique. Parmi les plus admirables figurent « Sous le règne de Bone » (1995), « Pourfendeur de nuages » (1998) et « American Darling » (2005). L’écrivain avait participé au Marathon des mots, à Toulouse, en juin 2006. « Ce qui m’intéresse, nous avait-il confié alors, ce sont les fêlures du rêve américain, pas la représentation faussée de la réalité que donnent les médias de masse. Mon ambition est d’offrir un visage aux gens qui sont généralement invisibles. Cette autre Amérique, de nombreux lecteurs dans le monde veulent la connaître. Aux Etats-Unis, à l’inverse, il y a souvent comme un déni. On ne veut pas voir la pauvreté, le malheur. »
Deux romans de Russell Banks ont été adaptés au cinéma : « De beaux lendemains », par Atom Egoyan en 1997, et « Affliction », l’année suivante par Paul Schrader. En 2006, l’écrivain avait travaillé sur le scénario de « Continents à la dérive » pour Raoul Peck et « American darling » pour Martin Scorsese. Aucun des deux projets n’a vu le jour. Seul Paul Schrader a réussi à mener à bien « Oh, Canada », certainement le roman le plus inadaptable et le moins spectaculaire de Russell Banks. L’histoire est très sombre : proche de la mort, Leonard Fife se livre face caméra, corrigeant un à un les mensonges sur lesquels il a construit sa vie. Celui qui est devenu un documentariste célèbre, figure de proue du progressisme, explique, au grand dam de ses admirateurs, comment, dans sa jeunesse, il a abandonné à deux reprises femme et enfant aux États-Unis et s’est enfui au Canada pour échapper à la guerre du Vietnam…
Dans le rôle principal, si difficile, Richard Gere est impressionnant, tour à tour affaibli et irascible, longtemps monstre d’égoïsme enfin prêt à tout sacrifier pour s’approcher de l’exacte vérité. A 75 ans, le comédien s’avère excellent, loin du séducteur qu’il fut le plus souvent à l’écran (et à la ville aussi). Quant aux enjeux du livre, ils sont bien présents dans le film. Ceux qui ne connaissent pas l’œuvre initiale risquent cependant de se perdre dans les allers-retours assez brutaux entre passé et présent – comme l’expression de la mémoire troublée et confuse de Leonard Fife -, et les passages pas forcément logiques du noir et blanc à la couleur. Sans compter la complexité supplémentaire causée par l’inversion parfois anachronique des rôles entre Richard Gere et Jacob Elordi, qui incarne le héros jeune. Mais « Oh, Canada » a l’immense mérite de rappeler à quel point Russell Banks fut un immense écrivain, jusqu’à son dernier souffle et son ultime livre, « Le royaume enchanté », nouvelle évocation douloureuse des illusions perdues.
« Oh, Canada », au cinéma le 18 décembre.
Tous les livres de Russell Banks sont publiés chez Actes Sud.