C’est au Théâtre du Capitole de Toulouse, la création mondiale d’un opéra, un vrai, contemporain, remplissant tout à fait les codes de ce type de spectacle, soit la trilogie à respecter, la musique, le chant et le théâtre. C’est au-delà du pari, plus qu’un défi. Ou quand un talent, s’agrège à un second, puis un autre et finit par fédérer comme une myriade. Quatre représentations au total. À la parution de ces quelques lignes, il vous restera deux soirées, le 26 et le 28 novembre.
Relire mon article d’annonce concernant cette création.
Il faut un sujet. Il s’appuie sur un ouvrage, Voyage d’automne de l’historien Louis Dufay dont la lecture par Bruno Mantovani, le musicien, chef d’orchestre et compositeur le traumatise pour plusieurs raisons qu’il détaille à bon escient dans le magazine Vivace ! En une phrase, le sujet traitera de la compromission des écrivains collaborationnistes français avec le nazisme qui a pu s’illustrer au cours de ce Voyage courant 1941 jusqu’à Weimar.
Ça tombe bien : Christophe Ghristi, Directeur musical de l’Opéra national du Capitole subit le même choc littéraire. Mieux que ça car il faut résumer ce canevas naissant. Ce dernier connaît Bruno Mantovani depuis la partition écrite pour son opéra Akhmatova. Il passe commande auprès du musicien, d’un opéra. Ce sera sur le sujet du bouquin. Leur accord est TOP, pour faire court. Le compositeur n’a plus qu’à se mettre à la tâche. Et l’on va retrouver son appétence pour toutes les formes de musique qui l’interpellent, son goût pour toutes les formes instrumentales, ses fulgurances, ces interludes orchestraux, en un mot, ces portées qui vous accrochent.
Et le livret ? Qui va le rédiger ? Quelle coïncidence ! La bonne personne ne peut être plus près : c’est l’actuel dramaturge du Théâtre, Dorian Astor. Là encore, lecture de l’article dans Vivace ! et leurs entretiens. Les points d’ancrage sont fixés, et maintenant tous au travail. L’opéra devra faire partie de la saison 2024-25.
La machine est en marche. Le travail de communication sera énorme. Et nécessaire, voire indispensable. Ce n’est pas si fréquent qu’un Théâtre voué à l’art lyrique décide et crée entièrement un ouvrage en ses murs. Au fur et à mesure, ce sont des petites vidéos d’informations, des entretiens, des conférences à mettre au point, un Prélude avant chaque représentation. Le programme de salle présentera même un résumé sur chacun de ses cinq “salauds“ partis pour cette escapade ignominieuse. D’autant que le sujet, sulfureux, demande développement car s’y rajoute une histoire sentimentale particulière qui se doit d’être évoquée, sans fard. Elle l’est.
Le choix de Marie Lambert-Le Bihan en charge de la mise en scène sera encore un ticket gagnant. Une seule phrase peut résumer ses intentions et explique le tout : « Le raffinement verbal de chacun appelle une grande qualité d’écoute des interprètes. Cette histoire nous rappelle la nécessité morale de regarder et d’écouter attentivement le monde … ». La sobriété des décors d’Emanuele Sinisi, des costumes de Ilaria Ariemme, s’accordent avec l’impact des lumières et des images de nuits et brouillards de Yaron Abulafia. Des draps froissés par des corps nus suggérés par un immense Kleenex, un drapeau bleu-blanc-brun, des sièges de train d’autrefois, ça peut suffire.
Le livret se découpe en un Prologue avec le Tableau 1. Brèves retrouvailles en 1949 entre Jouhandeau et Heller. Suivra l’Acte I avec tableau 2 et 3 et 4, puis Acte II avec tableau 5 (beuveries et plus avec Heller, Baumann le poète et amant désigné, et Jouhandeau pris au piège de l’amour) et 6, et le 7 qui voit Drieu la Rochelle et Brasillach rejoindre ses comparses sur le trajet. Tableau 7 c’est l’arrivée du monstrueux Göbst interprété par le contre-ténor. Puis 8. L’Acte III, Tableau 9, c’est l’insoutenable tragédie sur le ballast en plein voyage. Tableau 10, Göbst à nouveau présent déverse sa haine sur les auteurs français. Tableau 11, après 4 et 8, c’est la troisième apparition de La Songeuse. Fin avec un très court Épilogue entre Jouhandeau et Heller : nous sommes à Paris en 1949.
Les textes de Dorian Astor, remarquables de bout en bout, seront décisifs et décideront donc du parlé, ou chanté, ou chantonné avec une diction exemplaire en français comme en allemand, en plein accord avec Bruno Mantovani. Avec leur chef Gabriel Bourgoin, les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole ont réalisé un énorme travail. Tout comme chaque intervenant. On loue le choix des tessitures par Christophe Ghristi jusqu’au choc des intonations du contre-ténor William Shelton. Les cinq écrivains et les trois acolytes allemands sont à applaudir pour le chant et le jeu et l’investissement. À commencer par Pierre-Yves Pruvot, présent de bout en bout, Stefan Genz, Emiliano Gonzalez Toro, Vincent Le Texier et Enguerrand de Hys. Puis, s’y ajoutant à partir de l’acte II, Tableau 7, Jean-Christophe Lanièce et Yann Beuron.
Il fallait des espaces de respiration dans cet atmosphère tragique d’outre-tombe inhumaine. Le rôle de La Songeuse apparaît trois fois et plus particulièrement en ce tableau 11 avec un très très beau chant conclusif interprété par Gabrielle Philiponet.
Mais, c’est bien dans la fosse que tout se passe aussi. Le chef Pascal Rophé réduit toute difficulté à néant de la première note à la dernière. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse paraissent comme investis et brillent une fois de plus. Une fosse galvanisée.
C’était une commande de l’Opéra national du Capitole. C’est une réussite pour tous les intervenants : je ne vois pas d’autres conclusions.
Photos : Mirco Magliocca
En savoir plus :
> Voyage d’automne, opéra en création mondiale de l’Opéra national du Capitole
> Entretien avec Bruno Mantovani
> Entretien avec Pierre-Yves Pruvot
> Entretien avec Emiliano Gonzalez Toro
> Entretien avec Dorian Astor
> Entretien avec Marie Lambert-Le Bihan
> Entretien avec Claire Roserot de Melin