Un mois de spectacles où l’opéra est présent sous toutes ses formes : opéra baroque, opéra de rue, opéra pour caissières, opéra urbain, …..
Le vendredi 27 septembre c’était l’ouverture de saison à Odyssud, avec la création de l’opéra de rue Elixirs présenté par l’ensemble toulousain A bout de souffle : un spectacle lyrique décalé et débridé, à la fois immersif et participatif….
Conçue pour une place de village et finalement présentée dans le hall d’entrée d’Odyssud, cette proposition très originale et culottée se nourrit de l’histoire et de la musique de l’opéra comique l’Elixir d’amour de Donizetti pour nous offrir non seulement de magnifiques moments de bel canto, mais également de réjouissantes embardées du côté de la musique populaire italienne. Naviguant autour d’un public assis dégustant pizza et verre de vin, un casting épatant et haut en couleur de cinq excellents chanteurs-comédiens accompagné par trois intrumentistes (accordéon, clarinette et guitare). Au fil de l’intrigue les moments de pure émotion lyrique (le sublime air du ténor una furtiva lacrima) s’enchaînent malicieusement avec des tubes de la musique traditionnelle ou de la variété italienne, dont certains sont repris par un public emballé par l’originalité du spectacle. Mélangeant les genres avec astuce et gouaille, cet Elixirs est une pochade bigrement réussie, cosignée par le chef Stéphane Delincak et le metteur en scène Patrick Abéjean. Et un réjouissant hommage à l’opéra italien, à la comédie all’ italiana, au plaisir du chant et à un théâtre musical généreux et populaire.
Changement d’ambiance le lendemain soir à la Halle aux Grains avec un concert d’anthologie : une poignante Deuxième Symphonie « Résurrection » de Mahler dirigée par Tarmo Peltokoski à la tête d’un Orchestre du Capitole au sommet. Le miracle Peltokoski a de nouveau opéré dans cette fresque musicale grandiose et hautement spirituelle. Le tout nouveau et tout jeune (24 ans) directeur musical de l’Orchestre a enchaîné de façon inattendue le Prélude de Tristan et Isolde de Wagner avec le poignant premier mouvement de la symphonie intitulé Totenfeier (cérémonie funèbre). L’interprétation est tendue, à la fois émouvante dans les passages emprunts de poésie et de questionnements existentiels, et incandescante lors des climax que ménage la partition où le chef déchaîne toute la puissance de l’Orchestre et atteint des sommets d’intensité véritablement cataclysmiques. A la fin de l’oeuvre les deux choeurs réunis du Capitole et de Radio-France chantent les paroles sublimes du poème de Klopstock qui nous emmènent à la Résurrection et au paradis : Aufersteh’n : « Lève toi, oui, tu te lèveras à nouveau mon coeur après un court repos….Tu n’est pas né en vain, tu n’ as pas vécu, souffert pour rien…Oh mort tu es vaincue enfin…Dans une lutte ardente pour l’amour je m’élèverai vers une lumière qu’aucun œil n’a jamais vue…. : un message bouleversant pour une musique tout aussi bouleversante.
Dans le cadre de la Biennnale, le Théâtre de la Cité présentait début octobre deux propositions particulièrement originales : tout d’abord une touchante installation immersive intitulée Nachlass : ici chaque spectateur est invité à parcourir successivement huit « chambres de mémoire » où se trouvent des souvenirs, des objets, des photos et des témoignages enregistrés par huit personnes décédées. Autant de traces de ce qu‘a été leur vie et de ce qu’elles ont choisi de transmettre après leur disparition ….Cette installation imaginée par Stefan Kaegi de la compagnie suisse Rimini Protokoll est une expérience pleine d’humanité, émouvante et nostalgique sans être le moins du monde lugubre.
Dans le même temps était présenté dans la Grande salle Have a good day, un ironique « opéra pour caissières » contemporain qui nous vient de Lituanie. Sur scène dix caissières de supermarché assises face au public chantent leur quotidien, leurs états d’âme, leurs rêves : se côtoient ainsi de toniques caissières âgées dont c’est le métier depuis de nombreuses années et de jeunes étudiantes pour qui c’est un job alimentaire…. Le tout dessine avec subtilité un tableau ironique de notre société de consommation et de la condition de ses employées avec leurs routines, leurs secrets et leurs projets, mais aussi l’attente de la paye de fin de mois pour pouvoir à leur tour acheter, acheter…. Côté musical, la composition regarde du côté des musiques répétitives – qui font écho à leur travail lui aussi répétitif – et ménage de beaux ensembles et quelques solos, le tout accompagné discrètement par une musique électronique et un piano.
Le 2 octobre en la basilique Saint Sernin, concert d’ouverture du festival Toulouse les Orgues avec une étonnante transcription pour orgue de la partition la plus fameuse du compositeur anglais Gustav Holst : Les planètes. Originellement composée pour orchestre symphonique, c’est une œuvre à la fois cosmique et astrologique qui dépeint le caractère de chacune des sept planètes du système solaire. Deux brillantes organistes ont réalisé cette transcription virtuose et la jouent en duo sur le fabuleux grand orgue Cavaillé-Coll de Saint Sernin : la canadienne Isabelle Demers et la chinoise Yuan Shen. Une captation vidéo des claviers de l’orgue est retransmise en direct sur grand écran, ce qui permet aux auditeurs d’admirer les étonnantes combinaisons des quatre mains des deux organistes. Ce qui rend plus lisible encore les trouvailles de la transcription et concrétise on ne peut mieux l’idée que « l’ oeil écoute ». Le tout avec la curieuse sensation visuelle qu’apparait mystérieusement une cinquième main à certains moments particulièrement virtuoses !
Une semaine après dans le même lieu, nouveau rendez vous avec l’Orchestre du Capitole dans un fervent Requiem de Fauré franco-japonais, un concert que j’ai chroniqué pour Bachtrack, site Internet international spécialisé dans la musique classique.
Le dimanche 13 octobre à l’Opéra national du Capitole la redécouverte par l’ensemble baroque toulousain I Gemelli du premier opéra composé par une femme : Alcina de Francesca Caccini , composé en 1625 à Florence, que j’ai également chroniqué pour Bachtrack.
Dans le même lieu le 25 octobre le Ballet du Capitole et Jordi Savall à la tête de son somptueux orchestre le Concert des Nations donnaient Sémiramis et Don Juan, deux ballets d’action composés par Gluck. Ballets d’action qui constituaient en ce milieu du XVIII° siècle à Vienne une innovation complète car l’action dramatique est représentée pour la première fois uniquement par la danse et la musique instrumentale, laquelle bénéficie de la géniale musique de Gluck qui fait le lien entre le baroque et la classicisme. Après la suite d’orchestre d’Iphigénie en Aulide interprétée magnifiquement par le Concert des Nations, le ballet Sémiramis est donné dans une chorégraphie néo-classique signée Angel Rodriguez. Une version esthétisante et poétique de l’histoire de Sémiramis, reine légendaire de Babylone, avec une chorégraphie élégante mais un peu sage qui pêche par manque de dramatisme. Toute autre est le Don Juan d’Edward Clug : le drame est présent, les personnages et les situations sont parfaitement caractérisées, la danse est habitée et virtuose, et nous sommes tenus en haleine de bout en bout. Le Ballet du Capitole fait montre d’une qualité impeccable tant sur le plan artistique que technique, avec notamment le Don Juan du danseur étoile Ramiro Gomez Samon, le Sganarelle de Kleber Rebello et la Donna Elvira interprétée avec fougue par la magnifique Solène Monnereau.
Comment ne pas conclure cette chronique par l’exceptionnel opéra urbain « le gardien du temple » donné par La Machine dans les rues de Toulouse les 25, 26 et 27 octobre ? La plupart des toulousains ont été frappé par ce spectacle hors norme et grandiose ; il faut dire que les trois personnages (Astérion le Minotaure, l’araignée Ariane et Lilith la femme scorpion) créés par François Delarozière sont frappants par leur taille gigantesque, leur incroyable dispositif technique et le troublant réalisme de leurs mouvements et attitudes . Tout juste peut on regretter que certaines scènes conclusives de chaque déambulation aient été un peu brèves et ont parfois laissé sur sa faim un public par ailleurs nombreux et enthousiaste. Mais ne boudons pas notre plaisir : voir évoluer ces créatures géantes dans les rues du centre historique de Toulouse constituent des images absolument uniques et inoubliables !
Ma sélection de spectacles à voir en novembre :
5 au 9 novembre : Invisibili, Aurélien Bory , au Théâtre de la Cité
5 au 9 novembre : Ici Nougaro, Grégory Montel, présenté par Odyssud à l’Aria de Cornebarrieu
14 novembre : Comme Bach, choeur Les Eléments, à Saint Pierre des Cuisines
15 au 23 novembre : Hécube, pas Hécube : la Comédie Française, Tiago Rodrigues, au Théâtre de la Cité
22 au 28 novembre : Voyage d’automne, Bruno Mantovani à l’Opéra national du Capitole
Un CD à écouter absolument : Thierry Escaich : Le souffle de l’âme : une musique sacrée contemporaine qui nous empoigne : terriblement inspirée, émouvante, charnelle et incarnée. Et magnifiquement interprétée par l‘excellent choeur professionnel Dulce Jubilo que dirige Christopher Gibert, avec Thomas Ospital aux grandes orgues de Saint Eustache à Paris, le tout servi par une prise de son superlative. Thierry Escaich confirme à nouveau qu’il est l’un des plus grands compositeur de notre époque….