Miséricorde, un film d’Alain Guiraudie
Lorsqu’on a été capable de faire chavirer d’applaudissements le Festival de Cannes en 2013 avec le sulfureux Inconnu du lac (qui révéla Pierre Deladonchamps), rien ne semble en mesure d’arrêter la verve créatrice d’Alain Guiraudie. La preuve en est son dernier opus : Miséricorde.
Il nous emmène en pays cévenole, un coin perdu, en automne, époque des champignons. Dans un tout petit village, on enterre le boulanger. A cette occasion, Jérémie, son ancien mitron, vient lui rendre les derniers hommages. Il a vécu assez longtemps dans ce lieu pour connaitre tout le monde… Martine (sublime Catherine Frot), la veuve du boulanger, lui propose de l’héberger quelque temps, d’autant que Jérémie est au chômage. Vincent (incandescent Jean-Baptiste Durand), le fils de Martine, voit la chose d’un mauvais œil… Jérémie reprend aussi contact avec Walter (époustouflant David Ayala), célibataire vivant chichement dans une ferme isolée… Au beau milieu de ce tout petit monde, l’abbé (Jacques Develay, simplement incroyable) circule avec une aisance confondante. Il est de tous les repas, de tous les apéros, et croise imperturbablement la route de … Jérémie. Voilà qu’une disparition est signalée à la police… C’est alors qu’Alain Guiraudie va se lâcher complétement et nous offrir une fable incroyablement subversive quant à la définition de miséricorde. Des scènes que je vous laisse le soin de découvrir nous emmènent très loin quant à la notion d’empathie et de pardon, de sens de la vie et de la mort. Des situations à la limite du burlesque transforment cette tragi-comédie en un thriller érotico-flamboyant ouvrant des abîmes de réflexions personnelles. Le tout sans une once de trivialité. Cela étant, des idées et des propos peuvent interpeller… Avec Jérémie, Félix Kysyl trouve un premier grand rôle à la mesure d’un talent original qu’il serait temps de mettre en lumière, tant la subtilité de ses regards, de sa voix, de sa gestuelle, de ses silences, en font un comédien rare et précieux.
Quant aux fiévreux cinéphiles, ils trouveront dans ce film un assourdissant écho au Théorème pasolinien (1968…). Ce qui n’est pas une injure. Mais chut, j’en ai déjà trop dit…