Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard
Dans la filmographie aussi riche que déroutante de Jean-Luc Godard, trois œuvres brillent d’un éclat incontestable : A bout de souffle, Le Mépris et Pierrot le Fou. Ce dernier, sorti en 1965, adapté d’un roman noir, Le Démon d’onze heures, de Daniel White, met en scène un jeune père de famille, Ferdinand Griffon (Jean-Paul Belmondo), quittant les siens après avoir croisé une ancienne petite amie, Marianne Renoir (Anna Karina), lors d’une soirée donnée chez ses beaux-parents. Commence alors pour le couple improvisé une errance amoureuse et criminelle qui les mènera dans le Sud-Est de la France. En dépit des rebondissements du scénario, l’intrigue ici n’est qu’un prétexte pour déployer un langage cinématographique fait de collages et de citations bousculant la narration classique. Placé sous l’ombre tutélaire d’Arthur Rimbaud (avec parmi d’autres références au poète la scène où les filtres de couleur bleu, vert et rouge renvoient aux « Voyelles »), Pierrot le Fou emprunte beaucoup à la peinture (Vélasquez, Auguste Renoir, Van Gogh, Nicolas de Staël…) tout en faisant référence à Balzac ou Céline (jusque dans le prénom du héros, clin d’œil au Bardamu de Voyage au bout de la nuit).
Entre l’écriture automatique des surréalistes et le cut-up de la Beat Generation, Godard se pose à la fois en héritier et en explorateur de nouvelles formes. Voix off, personnage s’adressant au spectateur (comme Belmondo / Michel Poiccard dans A bout de souffle), clins d’œil au pop art et à la BD, le cinéaste ne s’interdit rien. Samuel Fuller apparaît dans son propre rôle et livre sa définition du cinéma. Une séquence vers la fin est offerte à Raymond Devos. L’aspect grandiose du mélange se révèle parfois sans queue ni tête.
Explosion de couleurs
Peu importe. L’essentiel est dans l’explosion des couleurs (Cf. au sens littéral avec la dernière scène…), feu d’artifices mené par le chef-opérateur Raoul Coutard, et le charisme du tandem Belmondo / Karina. Le couple en quête et en crise que Godard filme avec passion n’est sans doute pas sans échos avec celui que le réalisateur formait avec l’actrice qu’il avait dirigée dans Le Petit Soldat, Vivre sa vie, Une femme est une femme et Bande à part. Pierrot le Fou sera leur dernière collaboration avant leur séparation.
A la fois opéra et journal intime, road movie et série B, le film peut apparaître comme un éloge de la fuite face à un « monde d’abrutis ». Sans surprise, pulsion de vie et pulsion de mort se donnent la réplique. Avant de s’enferrer dans la politique (sa période maoïste), un intellectualisme et un formalisme aussi vains qu’ennuyeux, Jean-Luc Godard signait ce coup d’éclat ivre de poésie et de liberté.
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