Encore une ouverture de saison au Théâtre du Capitole de Toulouse digne des plus grandes maisons d’opéra de par, non pas la France mais le monde. Avec pour résultat, 8, plus une supplémentaire, représentations affichant complet. Viva l’opéra, viva Verdi, viva Nabucco, viva le Théâtre du Capitole !
Avant de détailler, mais si peu, la masse de travail accumulé pour arriver à un tel résultat, on ne peut que féliciter Christophe Ghristi, Directeur artistique du lieu qui, une fois de plus, a su réunir tous les talents nécessaires pour une telle réussite de cette nouvelle production du Nabucco du jeune alors, Giuseppe Verdi. Je rappelle à certains que c’est son troisième opéra, et qu’il a 28 ans, qu’on est en 1842, qu’il retrace un épisode historique sanglant, (Nabucco, ce n’est pas Die Juxheirat de Franz Lehar) et que les chanteurs ont respecté tous, leur partition dans son intégralité. Une septième ouverture de saison qui promet, elle aussi, d’être, finalement, marquée du sceau “cinq étoiles“.
Musique, chant et théâtre, les trois ingrédients qui, réunis, façonnent un opéra sont au rendez-vous : la conjonction, un tel alignement n’est pas si fréquent. Ce Nabucco est d’abord extraordinaire sur le plan visuel, d’un bout à l’autre ; Il porte la griffe maintenant si estampillée, de Stefano Poda qui signe tout autant, la mise en scène d’un spectacle fonctionnel, la scénographie avec une succession, stupéfiante, sans perte de temps de tableaux bluffants, d’une grande beauté plastique très contemporaine et des décors itou, les costumes fort réussis de couleur blanc, noir et rouge, d’effet somptueux, façonnés dans les Ateliers toulousains, et une fantasmagorie de jeux de lumières sidérante. L’artiste règle même la chorégraphie des danseurs qui évoluent sur le plateau, nullement nocive, à mon goût, au contraire, loin de la platitude pouvant se rencontrer ailleurs. Stefano Poda, mais qui peut avoir oublié son Ariane et Barbe-Bleue puis son Rusalka ?
Nabucco, c’est un opéra avec chœurs très sollicités. Excellente prestation de leur part, remarquables d’aisance et de cohésion, aux attaques nettes, d’une sobre ferveur, dont les membres pourtant nombreux sont très impliqués sur le plan scénique et de plus, délivrent des moments de pure émotion, dès le premier ensemble et bien sûr, dans le “Va pensiero“, d’une mystérieuse et poétique interprétation qui peut commander le silence plus que le tumulte des applaudissements.
Orchestre aux accents puissamment modelés, avec des musiciens et solistes (vents et cuivres, harpe, cordes !)) d’une irréprochable qualité musicale menés par un chef Giacomo Sagripanti qui semble respirer l’opéra italien, à la direction exacte, attentive en permanence à l’équilibre plateau /fosse. Dès l’Ouverture, capitale, on comprend que le chef partage l’idée que la force de cet opéra, dans son aspect primitif, n’accepte aucune digression, donnée fondamentale de l’œuvre verdienne. En un mot, ça ne lambine pas. Avec les premières mesures de la Sinfonia, les lignes directrices sont tracées et servent de murs porteurs à tout le dramma. La relation plateau-fosse paraît sans faille. En langage 2024, ça trace.
Premier emploi véritable pour baryton Verdi, les deux Nabucco à l’affiche ne seront pas détaillés au vu de leur prestation de par le chant et le jeu scénique. Soit Gezim Myshketa (repéré dans ce Force du destin en version concert ici même dans Don Carlo), soit Aleksei Isaev (repéré ici même, en Ondin dans ce Rusalka …définitif, et dans le Borgne, l’un des trois frères dans La Femme sans ombre). Un Nabucco à la formidable présence scénique, mordant à souhait, accrochant son auditoire avec timbre, phrasé, accent qui sont autant de témoignages d’une forme de grande noblesse d’interprétation. Grand moment dans l’expression de la souffrance, de la folie, et du désespoir. Il faudrait entendre les deux !!
Exigences meurtrières de la partition incendiaire réservée par Verdi à son héroïne Abigaille, rôle de soprano dramatique d’agilité qui réclame puissance et qui doit dompter une ligne de chant dramatiquement vertigineuse avec colorature et attaque précise de monstrueux sauts. Les exécutantes, Yolanda Auyanet et Catherine Hunold assument d’un bout à l’autre avec toute détermination, mordant et violence nécessaires. La première citée coche toutes les cases. La deuxième est sur le même chemin. Elles sont maîtresse absolue de la tessiture, avec aigus fulgurants et suraigus arrivant au paradis de la salle bien projetés, sans cri, un phrasé notable et de la toute douceur dans quelques rares moments, avec de superbes effets pianissimo. Une prise de rôle spontanée, éloquente, rage et ironie avec aplomb, une voix ample, ardente et persuasive. Et les vocalises sont même au rendez-vous. On remarque aussi une attention de tous les instants à la couleur des mots et au sens du texte. Un rôle éprouvant, à n’en pas douter.
Les basses en Zaccharia de Nicolas Courjal comme de Sulkhan Jaiani sont de haute volée. Puissance, autorité et style avec les graves nécessaires tous présents, me semble-t-il, et aucun souci de projection. Pas de problème de volume, assurément. Et vocalises présentes. Ils incarnent la basse prophétique donc il la faut aussi solide que les certitudes religieuses qu’il profère. On n’ira pas jusqu’à analyser les différences avec l’autre basse du Grand Prêtre avec Blaise Malaba qui assume aussi les profondeurs demandées.
Faut-il énumérer ici toutes les qualités du ténor Jean-François Borras qui, dans son rôle constitue un Ismaël de grand luxe en face d’une touchante Fénéna interprétée par Irina Sherazadishvili, dotée d’un timbre faisant preuve de beaucoup de musicalité avec une voix mélodique à souhait répondant à la fougue de son amant.
Une fois de plus, et sans prétention, la distribution vocale ne présente aucune faiblesse, me semble-t-il, de la sœur de Zaccaria, Anna, chantée par Cristina Giannelli à Abdallo, le vieil officier de Nabucco interprété par Emmanuel Hasler.
NB. je ne connais pas un seul enregistrement disponible qui atteiigne le niveau d’ensemble du spectacle auquel nous pouvons assister. Et, il me faudrait deux fois plus de signes disponibles pour le détailler et même dissocier les deux distributions, mais……