J’ai débuté ma carrière en faisant une Master Class de Maria Callas… au théâtre
La cantatrice allemande Janina Baechle connait bien le Théâtre du Capitole pour y avoir été invitée cinq fois déjà. Elle nous revient dans le rôle rempli d’émotions de Geneviève du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Nous avons souhaité en savoir davantage sur cette artiste formidablement attachante dont le répertoire traverse les siècles.
Rencontre
Classictoulouse : Vous avez fait vos débuts en France au Capitole de Toulouse en 2007 dans le rôle de Brangaene du Tristan et Isolde de Richard Wagner. Deux ans après vous étiez Mrs Quickly dans le Falstaff de Giuseppe Verdi et, dernièrement La Nourrice dans l’Ariane et Barbe Bleue de Paul Dukas ainsi que Mme de Croissy dans Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. Sans oublier le très rare Miroir de Jésus d’André Caplet avec le Chœur du Capitole. Mais avant d’en venir à Geneviève du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy que vous répétez en ce moment pour le Capitole, parlez-nous un peu de votre parcours. Et tout d’abord du premier rôle que vous avez chanté sur scène.
Janina Baechle : Mon premier emploi professionnel est un peu original. C’était à Hambourg, dans ma ville natale, au Thalia Theater que dirigeait alors Jurgen Flimm, qui a été un immense metteur en scène d’opéra également. En fait c’était une pièce de théâtre autour d’une Master class de Maria Callas. Il fallait trois jeunes chanteurs… Voilà comment j’ai débuté. En terme d’ouvrage lyrique j’ai fait mes véritables débuts dans l’opéra de Philippe Boesmans, Le Conte d’hiver, dans lequel je chantais Paulina.
Vous avez fait partie de plusieurs troupes. Quels sont les avantages et les inconvénients de ce système ?
Effectivement j’ai appartenu à la troupe de l’Opéra de Vienne de 2004 à 2010, puis j’en suis devenue une invitée régulière quatre mois par an jusqu’en 2017. Chaque saison j’y faisais alors une résidence. Auparavant j’ai travaillé avec les troupes de Hanovre et Braunschweig. Les avantages sont immenses pour les chanteurs. Et tout d’abord apprendre et approfondir le métier dans toutes ses composantes. Comment gérer son temps, sa force et ses efforts, se confronter à tous les répertoires, du baroque au contemporain, de Wagner à Rossini du jour au lendemain. Cela permet donc de s’évaluer autant dans ses possibilités que dans ses faiblesses. C’est une super-école qui fait passer du premier plan au troisième rôle plusieurs fois par semaine. Dans ces théâtres de répertoire, heureusement tous les spectacles ne sont pas des nouvelles productions. Les ouvrages reviennent régulièrement à l’affiche. A Vienne j’ai eu la chance de côtoyer d’immenses interprètes qui m’ont beaucoup apporté artistiquement mais pas seulement. Travailler dans de pareilles maisons vous apprend simplement comment vous nourrir chaque jour et à quelle heure, comment se comporter avec toutes ces personnes de l’ombre sans qui nous n’existerions pas. La seule chose négative, si l’on peut dire, c’est le respect du calendrier, ce qui amène parfois à refuser des propositions extérieures. Cela dit, les chanteurs à présent ne sont plus gardés en troupe plus de 13 ou 15 ans pour des raisons financières. Et c’est dommage car au bout d’un certain temps, tous ces artistes qui ont tout chanté, ou à peu près, sont de véritables trésors de culture lyrique et d’interprétation. Il leur suffit d’arriver sur scène et leur seule présence impose leur personnage.
Avez-vous un répertoire de prédilection ?
Il y a quelques années, oui bien sûr, Wagner et Mahler certainement. Aujourd’hui ce seront plutôt des rôles comme celui de Mme de Croissy dans Dialogues des Carmélites, Filipievna dans Eugène Onéguine, Grand-mère Buryjovska dans Jenufa, Gaea dans Daphné, Erda dans le Ring, Geneviève dans Pelléas et Mélisande. Ce sont des rôles qui correspondent actuellement à ma couleur de voix. Mais plus que cela en fait, ce sont des emplois qui réclament une véritable présence vocale.
A ce jour, quels sont déjà vos grands souvenirs ?
Certainement tout ce que j’ai chanté sous la direction de Christian Thielemann. Plus particulièrement un Crépuscule des dieux dans lequel j’étais Waltraute et qui a été un vrai moment de grâce, de communion intense.
Venons-en à cette Geneviève. Et tout d’abord, vous qui êtes née en Allemagne, vous parlez un français parfait…
J’ai eu la chance durant mes études d’avoir un professeur de français, breton, qui nous enseignait votre langue avec beaucoup de subtilité et de manière très conviviale et ludique. Avant de nous faire entrer dans la codification de la langue française, il nous a appris à aimer cette langue et à nous la faire parler, à nous faire aimer aussi la culture française. A son programme Brassens et Brel et la recette du far breton bien sûr. C’était formidable. Ma mère prenait aussi des cours de français pour m’accompagner dans mes études. Notre commune était jumelée avec Esternay en Champagne et nous faisions de nombreux échanges. Chez moi nous regardions aussi la télévision française et donc, très jeune j’ai été en contact avec cette langue. Par la suite mon répertoire m’a naturellement amenée à perfectionner cet idiome. Et puis, vous le savez, la France a pris une autre dimension dans ma vie (sourires…).
Vous avez déjà chanté Geneviève, notamment à Vienne, mais l’avez-vous chantée par ailleurs ?
Effectivement à Vienne mais aussi à Bordeaux également, mais à cause du Covid le spectacle s’est transformé en simple enregistrement.
Cette lettre que vous lisez à Arkel au 1er acte est un chef-d’œuvre de déclamation musicale en même temps qu’un moment très attendu des mélomanes. Comment se prépare-t-on à ce rôle ?
J’écoute toujours les enregistrements historiques et en particulier celui avec Claire Croiza. J’ai aussi lu et relu la pièce d’origine afin d’entrer le mieux possible dans ces mondes si particuliers qui sont ceux de Maeterlinck et de Debussy. L’ambitus vocal n’est pas immense, mais cette lettre est un univers à elle-seule. J’ai conscience d’apprendre tous les jours des choses nouvelles sur cette fameuse lettre. Il faut la dire et la chanter un même temps, transporter dans notre voix un contenu émotionnel énorme car Geneviève comprend bien qu’il est possible, selon la réaction d’Arkel, qu’elle ne revoit plus jamais son fils Golaud.
Dans cet opéra très symbolique, que nous raconte cette lettre ?
Elle nous remémore ce qui s’est passé dans la première scène, la rencontre entre Golaud et Mélisande, et surtout les six mois qui ont suivi. On comprend alors que le mystère Mélisande est toujours entier pour le fils de Geneviève. Il le restera d’ailleurs pour tout le monde. Mais comme je l’évoquais précédemment, pour Geneviève le contenu de cette lettre peut-être aussi la disparition de Golaud, son fils aîné. Il y a un sentiment de désespoir à communiquer alors mais en dehors de tout élan romantico-vériste. Tout est dans le chant. On comprend aussi que Geneviève est une étrangère à ce royaume, qu’elle a été mariée deux fois, que le roi Arkel, aussi vieux soit-il, a toujours beaucoup de pouvoirs. On appréhende également toute la dynamique qui régit ce royaume d’Allemonde.
La créatrice du rôle, Jeanne Gerville Réache était un contralto. Claude Debussy cherchait-il avant tout une couleur de voix ?
Je pense que vous avez raison car tout cet opéra est un travail sur la couleur. Il est question en permanence de lumière et surtout d’ombre. Que ce soit dans la partition instrumentale ou celle concernant les voix, l’attention du compositeur s’est focalisée sur cette recherche d’opposition entre la clarté et les ténèbres. Yniold et surtout Mélisande apportent la lumière dans les ombres d’Arkel, de Geneviève et de Golaud. Pelléas est au milieu et nous savons comment ça finit.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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