Le prestigieux Quatuor Modigliani était l’invité des Arts Renaissants pour le dernier concert de sa saison musicale. Disons-le sans détour, ce 9 avril, l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines a hébergé l’un des événements musicaux les plus éblouissants qui soient ! De Mozart à Beethoven en passant par Hugo Wolf, les quatre complices de cet ensemble, qui vient de célébrer ses vingt années d’existence, ont démontré l’étendue incroyable des qualités complémentaires qui les caractérise à ce stade de leur accomplissement.
La soirée a débuté par l’annonce de la prochaine saison des Arts Renaissants par le Président de l’association, Claude Scavazza. Sont ainsi programmés de beaux concerts de musique de chambre par de grands artistes invités.
L’arrivée sur le plateau des quatre musiciens du Quatuor Modigliani ouvre le déroulement d’un moment d’exception. Amaury Coeytaux, et Loïc Rio, violons, Laurent Marfaing, alto et François Kieffer, violoncelle, forment une entité d’une admirable unité dans la diversité. Dès les premières notes et tout au long de cette soirée, on ne sait qu’admirer le plus : les riches sonorités de miel de chacun des instruments et l’équilibre complice entre les registres qui s’accompagnent d’une respiration commune vers un but musical commun. La perfection technique de leur jeu, cohésion et précision absolues, est telle qu’elle donne l’image d’un instrument unique joué par un seul acteur. Et néanmoins l’individualité de chacun s’exprime pleinement. Finesse et nuances extrêmes du jeu du premier violon, écho touchant des répliques du second, profondeur sonore, comme vocale de l’alto, rondeur chaleureuse du violoncelle jusque dans les pizzicati, ainsi que l’adoption d’un vibrato léger et retenu se complètent harmonieusement.
En outre, chacune des pièces inscrites au programme est interprétée dans sa propre spécificité. Le Quatuor à cordes n° 3 en sol majeur dit « Milanais », composé par le jeune Mozart de 16 ans lors de son second séjour italien, coule ici comme un frais ruisseau. Entre la légèreté joyeuse du Presto initial et le sourire du Tempo di minuetto final, l’Adagio laisse pourtant échapper comme l’évocation d’un drame intérieur teinté de nostalgie.
La Sérénade italienne en sol majeur du grand compositeur autrichien de lieder Hugo Wolf résonne comme une joyeuse fantaisie, probablement conçue pour combattre la dépression qui affectait alors le musicien. Les interprètes en soulignent les harmonies subtiles et osées pour l’époque, le relief parodique avec force clins d’œil. La danse s’y manifeste avec gaieté.
Avec le Quatuor à cordes en fa majeur, opus 59 n° 1, de Ludwig van Beethoven, on atteint l’un des sommets expressifs de toute la musique de chambre. Composé en 1806, il est le premier des trois quatuors dédiés au prince Andreï Razoumovski, ambassadeur de Russie à Vienne et allié du prince Lichnowsky, le protecteur de Beethoven. Les musiciens s’engagent dans cette partition révolutionnaire (elle est contemporaine de la Symphonie « Héroïque » !) avec une intensité irrésistible. Tout un monde de nuances coordonnées construit un itinéraire éblouissant de cette partition visionnaire. L’Allegro initial s’ouvre sur l’ample et sobre thème de violoncelle qui installe une atmosphère pleine de fièvre et d’angoisse. De violents contrastes animent l’Allegretto vivace e sempre scherzando. L’obsession rythmique engendrée par la répétition d’une même note est admirablement soutenue par les quatre musiciens, comme stimulés par un texte explosif. Dans le magnifique Adagio molto e mesto, les interprètes entonnent un chant sublime et triste qui va droit au cœur. L’émotion atteint là un paroxysme d’intensité qui serre la gorge. Il est difficile ici de retenir ses larmes. Un enchaînement subtil et fort à la fois conduit vers l’Allegro conclusif qui se développe autour du fameux « thème russe » suggéré, semble-t-il, par le dédicataire. Ce thème de chant traditionnel est repris sans répit et chemine d’un instrument à l’autre, en une série d’échanges d’une tension implacable. Le jeu de chaque musicien atteint là une sorte de perfection incandescente à laquelle il est impossible de résister !
L’ovation que provoque cette exécution obtient de cet ensemble magique un double bis constitué de deux mouvements successifs du Quatuor n° 4 de Franz Schubert. La tendresse que génère cette musique tente, en quelque sorte, de calmer les angoisses de la partition beethovénienne…
Encore une fois, saluons l’exceptionnelle prestation du Quatuor Modigliani, expert en la matière, qui conclut sur les cimes la belle saison des Arts Renaissants.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse