CRITIQUE. Théâtre. TOULOUSE. ThéâtredelaCité, le 23 mars 2024. Cendrillon. Création théâtrale de Joël POMMERAT.
Il s’agit de la reprise d’une pièce écrite pour Bruxelles en 2011. Elle est reprise cette année. Il s’agit de la dernière pièce d’un triptyque de textes fondateurs de l’enfance après Le Petit Chaperon rouge en 2006 et Pinocchio en 2008. Avec justesse la pièce est déconseillée aux moins de 10 ans. Il ne s’agit pas d’une illustration du conte mais bien d’un véritable regard lucide sur le travail de deuil retardé, voir refusé et les conséquences fatales qui en résultent. La Cendrillon de Joël Pommerat devient « la très jeune fille » et le prince charmant devient « le très jeune prince ». Les autres personnages sont plus classiquement nommés : le père de la très jeune fille, la belle-mère, les sœurs, la fée. Il y a également une voix narrative qui nous permet de rrevenir au temps de l’enfance quand on nous lisait des histoires. Le travail de Joël Pommerat sera de nous permettre de pénétrer dans l’histoire un peu au travers d’un grand livre. Le dispositif scénique est un cube sur les faces duquel sont projetées des images, des formes ou des paysages. Au fond il y a également des mots lumineux qui sont projetés. Un acteur chorégraphie plus qu’il ne signe le texte. Ainsi le livre de conte est suggéré.
Les lumières très subtiles sculptent dans le noir. C’est très beau et très inquiétant. Ce travail sur le noir, associé à la mélancolie de Cendrillon et le transparent qui lui est associé à la fatuité et au vide intérieur de la belle mère et ses filles. Du livre Joël Pommerat nous pousse vers le théâtre. par le jeu des acteurs d’abord très fouillé, avec une évolution de Cendrillon et une dégradation de la belle-mère. Caroline Donnelly incarne à la fois la seconde sœur et le prince par un jeu complètement différent et une prosodie presque opposée. Ainsi elle arrive à camper avec une grande justesse les deux personnages. Noémie Carcaux est aussi crédible que méconnaissable en grande sœur qu’en Fée…
Appartenant à la fois au livre et au théâtre il y la polysémie des mots ; leur virtuosité, leur perversités signifiantes multiples nous troublent. Ainsi Joël Pommerat dans sa pièce utilise le pouvoir des mots pour explorer les mécanismes complexes de la souffrance de l’héroïne. Si Sandra (c’est le prénom de Cendrillon) se roule à ce point dans la culpabilité porteuse de mauvais traitements, c’est parce que sa mère en mourant n’a pas pu se faire entendre de sa fille. Et cette dernière a inventé une mission intenable : Ne pas oublier de penser à sa mère durant plus de 5 minutes. Cette enfant ne peut donc pas traverser l’épreuve du deuil et s’enferme dans une punition éternelle car elle a failli à sa mission impossible. Du coup l’enfer que lui fait vivre la belle-mère elle le recherche. Une chambre sans fenêtre dans une cave, les corvées les plus dégradantes etc… font dire à l’enfant « je sens que cela (ce mal, ces choses dégelasses à faire) va me faire du bien ».
Le masochisme est installé jusqu’à un corset qui enferme l’enfant consentante la gênant terriblement pour marcher. Ce conte devient donc particulièrement cruel. La vis sans fin de la culpabilité s’enfonçant dans le masochisme pourrait tourner à vide éternellement dans la cave noire s’il n’y avait enfin la fée qui intervienne. Ce personnage également gagne en complexité et en profondeur. La Fée, souffrant de son immortalité rate tout ce qu’elle entreprend ou presque afin de se sentir vivante. Cela crée un grand comique de détente qui nous est ainsi offert après la plongée dans la souffrance de Sandra. La Fée est bien celle qui apporte espoir et changement.
De manière théâtrale par la parole qui va ouvrir le deuil. C’est la fée qui va obtenir de l’enfant qu’elle reconnaisse qu’en parlant tout le temps de sa mère « elle énerve les gens ». C’est avec la Fée que Sandra apprend à s’amuser, à retrouver un comportement enfantin. Le moment inénarrable est celui ou la fée dans sa machine magique lui confectionne un costume de mouton. C’est la fée qui lui dira les mots pour sortir de sa prison de deuil. « On ne te demande pas de ne plus penser à ta mère mais seulement d’y penser de temps en temps ». Comme dans le conte c’est grâce à la Fée que Cendrillon va au bal. Chez Pommerat il y a redondance et au final il y aura deux bals. Et La très jeune fille et le très jeune prince dans leur dialogue vrai arrêterons de se raconter des histoires et accepterons que leurs mères sont mortes. Il y aura comme dans le conte une chaussure… mais ce sera celle du prince…. Il se crée entre les jeunes gens une relation d’amour qui les fait grandir. La musique les rassemble et les libèrent. Chanson du prince, danses des jeunes gens.
Mais loin du conte ce sera une amitié amoureuse et ils partiront chacun de leur côté. La fin heureuse est plus ouverte que le fameux, « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Léa Millet en Sandra arrive dans son jeu expressif à passer par tous ces moments de la Cendrillon de Joël Pommerat. Elle nous rend très proche ce personnage révolté, intransigeant et courageux.
Nous parlerons rapidement des autres personnages. La Belle-mère est une figure de la modernité et du narcissisme vide comme sa maison hyper moderne et transparente, elle est adepte de la chirurgie esthétique, de l’auto persuasion, du coaching et a des idéaux de midinettes qu’elle ne veut pas reconnaitre.
Elle est volontaire, elle a un comportement opératoire, elle devient folle de son amour pour elle-même. Catherine Mestoussis est aussi terrible que drôle, avec une voix de stentor, c’est du grand art ! Les 2 filles, émanations du narcissisme maternel ne sont que des faire-valoir et sont d’une petite méchanceté sadique. Chacune se révèle plus extraordinaire encore dans son deuxième rôle : Fée pour la grande, Prince pour la petite.
Alfredo Canavas est doublement lâche que ce soit en père de la très jeune fille ou en Roi. Ces deux personnages sont la faiblesse masculine incarnée. C’est cette lâcheté de la recherche de calme qui ne permet pas aux enfants de grandir. Car nul ne peut grandir sans aucun conflit jamais. Damien Ricaud qui signe et danse est le narrateur plein d’énergie. Le voix mélodieuse et italienne de Marcella Carrara est particulièrement présente en étant pourtant off. Les très belles projections murales, les lumières subtilement sculptées, les costumes stylisés et les effets spéciaux garantissent une magie théâtrale parfaite. Très rares sont les hommes de théâtre qui savent si bien comprendre l’enfance et ses douleurs, et réveiller en nous l’enfant endormi. Joël Pommerat a écrit et monté une très belle pièce, courageuse et nécessaire qui nous élève à plus de lucidité sur la perte, la mort et aussi la beauté des relations d’amour et d’amitié. Nous avions beaucoup aimé ses Contes et légendes, sa Cendrillon en préparait les profondes audaces.
Photos de Cici Olsson
Critique. Théâtre. Toulouse. ThéâtredelaCité, le 23mars 2024. CENDRILLON de Joël POMMERAT. Scénographie et lumières, Eric Soyer ; Assistant Lumières, Gwendal Malard ; Costumes, Isabelle Delfin ; Son, François Leymarie ; Création musicale, Antonin Leymarie ; Vidéo, Renaud Rubiano ; Avec : Alfredo Canavate, le père de la très jeune fille/ Le Roi ; Noémie Carcaud, la fée et la sœur ; Caroline Donelly, la seconde sœur et le Prince ; Catherine Mestoussis, la belle-mère ; Damien Ricau, le narrateur ; Julien Desmet, le vigil ; Marcella Carrara, la voix off ; Création 2011 Théâtre National de Wallonie-Bruxelles ; Reprise en 2022 par la Compagnie Louis Brouillard.