Le jeudi 7 mars, le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste David Fray retrouvaient le plateau de la Halle aux Grains pour un concert fraternel de la saison des Grands Interprètes. Déjà présents à Toulouse en mai 2021, le deux artistes et amis portent bien haut la pratique de l’échange dans un répertoire musical d’une exceptionnelle profondeur. Schubert et Beethoven étaient inscrits au programme de cette soirée chaleureusement accueillie par un public nombreux et enthousiaste.
La violoniste natif de Chambéry et le pianiste tarbais poursuivent chacun séparément une brillante carrière. Leurs rencontres constituent néanmoins chaque fois un moment particulier d’épanouissement musical. Le public ne peut que constater la profonde complicité qui les unit. Les regards échangés, les convergences de leurs conceptions des œuvres abordées, la complémentarité de leurs sonorités animent chacune de leurs interprétations. Selon le caractère de chaque pièce, de chaque moment, le timbre de miel du violon se mêle ou s’oppose à la profonde dynamique du piano.
Le programme de leur rencontre toulousaine s’ouvre cette fois sur deux partitions assez différentes du même Franz Schubert. Sa Sonate pour violon et piano en la majeur, écrite en 1817 et qui a été publiée bien après sa mort avec le titre de « Grand Duo », révèle la volonté du compositeur de franchir un cap décisif vers une ampleur musicale encore rare dans ses productions de musique de chambre. Ses quatre mouvements déploient une diversité expressive remarquable. Le premier volet, Allegro moderato, n’échappe pas à l’évocation d’un tendre lied, plein de nuances et de finesse avec une progression sensible vers une certaine passion. La vivacité d’une danse complice entre les deux instruments anime le Scherzo, Presto. Elle se prolonge dans un Trio chantant et plein. L’Andantino qui suit évoque la douce tendresse d’un lied, ou même d’une berceuse, curieusement ponctuée d’accents affirmés. C’est avec détermination que les interprètes abordent le final Allegro vivace. Vigueur, animation, vitalité caractérisent cette dernière séquence non exempte d’esprit et de finesse.
Le Rondo brillant en si mineur D.895, qui poursuit cette exploration du monde de Schubert, possède un tout autre caractère. Les deux parties qui s’enchaînent, Andante et Allegro, sont clairement destinées à exalter la virtuosité des interprètes de l’époque… et ceux d’aujourd’hui. Renaud Capuçon et David Fray semblent échanger des humeurs opposées, dans un dialogue animé et vif. Le compositeur n’a pas hésité à multiplier les difficultés que les deux musiciens franchissent avec panache.
oute la seconde partie de la soirée est consacrée à l’une des sonates pour violon et piano les plus « révolutionnaires » du répertoire, la Sonate pour piano et violon n° 9 en la majeur op. 47, de Ludwig van Beethoven, intitulée Sonate à Kreutzer. L’histoire de sa genèse n’est pas simple. D’abord dédiée au violoniste George Bridgetower qui avait créé, le 24 mai 1803, l’œuvre à Vienne avec Beethoven au piano, elle a finalement été destinée au violoniste français Rodolphe Kreutzer. Contemporaine de la composition de la Symphonie n° 3 « Héroïque », cette partitions semble refléter les sentiments d’admiration du compositeur envers les idéaux de la Révolution française. Comble de l’ironie, Kreutzer refusa toujours de jouer la sonate qu’il trouvait « inintelligible » pour le public !
Il est vrai que sa structure défie les lois « classiques » de la forme sonate. Le premier de ses trois mouvements s’ouvre sur une attente fébrile initiée par le violon dans un Adagio sostenuto introductif. La sonorité du violon se fait mystérieuse, étrange. Le Presto qui s’enchaîne prend l’allure d’un combat. Les deux interprètes y font assaut d’énergie et de vigueur. L’alternance entre les sections de caractères opposés dynamisent le discours. Le mouvement central, Andante con Variazioni, constitue à lui seul un chef-d’œuvre absolu. Renaud Capuçon et David Fray s’y investissent au plus haut point. L’émotion atteint là son paroxysme. La succession des variations sur le même thème se reçoivent comme de sensibles confidences. La magie opère dans une atmosphère de méditation. Le Presto final réalise un contraste plein d’exubérance sur un rythme de tarentelle. Le mouvement et la sonate s’achèvent sur une course effrénée, à la fois compétition entre les deux instruments et hymne commun à la vie.
Acclamés par le public, les deux musiciens offrent deux bis pleins de charmes : le fameux Salut d’amour, de Sir Edward Elgar, et la mélodie Après un rêve de Gabriel Fauré dont on célèbre cette année le centenaire de la disparition. Poésie et musique…
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse